Baba Hama, ancien ministre de la Communication : «Les journalistes burkinabè ne sont pas au bas de l’échelle»

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Diplômé de l’Ecole de journalisme de Lille, journaliste à la retraite, enseignant-formateur, ancien ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement sous Blaise Compaoré, plusieurs fois primé au Grand prix national des Arts et des Lettres de la Semaine nationale de la culture (SNC), pour ne citer que cela, Baba Hama puisque c’est de lui qu’il s’agit, nous a accordé une interview à l’occasion de la commémoration de la Journée internationale de la liberté de la presse. Relations politiques-journalistes, prédateurs de la liberté de la presse, conditions de vie des journalistes, et comment essayer de les améliorer, «gombo» (backchich) reçu pour des écrits élogieux, qui vous rattrapent toujours, Baba Hama c’est un professionnel du métier qui parle.

C’est quoi pour vous en tant qu’icône de la presse burkinabè, la liberté de la presse ?

On a coutume de dire que la liberté de presse, c’est la liberté de communiquer des pensées et des opinions. C’est un des droits les plus précieux de l'homme. Dans un pays, tout citoyen devrait pouvoir parler, écrire et imprimer librement, sauf bien sûr s’il abuse de cette liberté. C’est ce qui explique l’existence de textes qui encadrent cette liberté, même si cela peut paraitre paradoxal. La réalité est qu’il n’y a pas de liberté absolue. Vous aurez également compris qu’il n’y a pas de liberté de presse là où il n’y a pas de liberté d’expression pour tous les citoyens. C’est aussi pour cela que les systèmes de gouvernance démocratique sont nettement plus favorables à l’existence d’une presse libre et plurielle.

Le classement mondial de la liberté de la presse 2020, selon RSF place le Burkina Faso 5e en Afrique et 38e sur 180 dans le monde. Y a de quoi s’enorgueillir ?

Bien sûr, même si le pays a perdu 2 points par rapport au classement précédent !  Et il n’y a pas de raison que l’on ne vise pas la première place au plan mondial ! Dans le classement de Reporters sans frontières, c’est la Norvège qui est en tête de peloton, suivie de la Finlande, de la Suède, du Danemark et du Costa Rica pour les 5 premiers du classement. Le 1er pays africain c’est la Namibie, ce n’est pas sans nous rappeler que c’est la conférence de l’UNESCO de Windhoek en 1991 qui est à l’origine de l’institution de la Journée mondiale de la liberté de la presse avec l’adoption de la Déclaration dite de Windhoek pour le développement d'une presse libre, indépendante et pluraliste. Au plan africain donc, outre la Namibie, le Burkina est devancé dans le classement de RSF par le Cap-Vert, le Ghana et l’Afrique du Sud. Oui, y a de quoi s’enorgueillir, mais il ne faut pas dormir sur ses lauriers. Quelqu’un avait dit que la liberté ne se donne pas, elle se conquiert. Il faut avoir à l’esprit qu’il n’y a pas non plus de liberté de presse sans liberté d’expression dans un pays. Et la défense de la liberté d’expression est l’affaire de tous. Cela passe entre autres par l’enracinement et le renforcement de la démocratie.

D’aucuns estiment que c’est la pluralité de la presse burkinabè ainsi que le traitement de l’information qui lui ont valu  cette place. Qu’est-ce que vous en dites ? Pourtant ce fût une lutte de longue haleine pour en arriver là…

C’est tout à fait juste ! Depuis 1992, avec le retour à la vie constitutionnelle normale après les états d’exception que le pays a connus, les conditions ont été favorables à l’éclosion de la presse notamment privée et aussi la création de partis politiques, conséquence de l’adoption du multipartisme intégral. La pluralité de la presse burkinabè, les conditions d’exercice du métier de journaliste, ont certainement milité pour son classement. Les critères sur lesquels se base RFS pour établir son classement mondial reposent d’ailleurs sur le pluralisme, l’indépendance des médias, l’environnement et l’autocensure, le cadre légal, la transparence et la qualité des infrastructures soutenant la production de l’information. Ce rang qu’occupe le Burkina est naturellement le fruit d’une lutte de longue haleine, menée par les hommes de médias à travers leurs structures associatives ou syndicales, des ONG et des associations œuvrant pour la démocratie et la promotion des droits de l’Homme. La Journée mondiale de la liberté de la presse est aussi une occasion de saluer les efforts de tous ces acteurs.

Ce 3 mai est dédié à la célébration de la Journée internationale de la liberté de la presse. Y a-t-il encore des prédateurs de médias en Afrique ?

Il y a et il y aura toujours des prédateurs de médias dans le monde. Pas seulement en Afrique ! Il ne faut pas se faire d’illusions. Entre le 4e pouvoir et les 3 autres, il se passera toujours une partie de cache-cache ou un jeu du chat et de la souris. La presse suscite de la méfiance. Les tentatives de la museler ou de la caporaliser sont permanentes. Il n’y a pas de démocratie sans liberté d’expression et d’opinion, de presse libre. Les processus démocratiques iront donc de pair avec l’acceptation de la liberté de la presse. Je dirais même, la concession d’une presse libre. Très souvent, on indexe des dictateurs en pensant à des dirigeants politiques, mais on oublie que pour la presse, les menaces peuvent provenir de lobbies dans les domaines économique et social. Je vais peut-être me faire taper sur les doigts, mais je pense que la communication ayant pour objectif d'influencer les processus de comportement, le phénomène du « tout communication » que l’on constate en ce moment, est aussi une menace pour la presse.

Vous qui avez traversé toutes ces époques, et suivi de bout en bout l’émergence de la presse burkinabè quel est votre meilleur souvenir de cette journée au plan national ?

Vous me faites là trop d’honneur ! Non seulement je n’ai pas traversé toutes les époques, mais je ne suis pas non plus un spécialiste de l’histoire de la presse burkinabè. Cela dit, à l’échelle de ma modeste expérience, je garde comme meilleure souvenir la tenue du 1er concours des « Prix Galian » en 1997 au cours de la «nuit du communicateur» organisée par le ministère en charge de l’Information et de la Communication Cet événement dont l’objectif est de promouvoir les différents corps de métiers de la presse écrite et audiovisuelle à l’époque, a été un coup de projecteur sur les hommes de médias burkinabè. Enfin on les célébrait ! Certaines contingences ont fait qu’on n’arrive pas à organiser cette «Nuit» chaque 3 mai, mais au début c’était un événement marquant. Actuellement, c’est le Centre national de presse Norbert Zongo qui célèbre cette journée avec une série d’activités. Le Centre publie à l’occasion un Rapport sur l'Etat de la liberté de la presse au Burkina Faso. C’est une initiative à encourager pour marquer cette date du 3 mai d’une pierre blanche.

La presse burkinabè fait la fierté du pays, pourtant les journalistes tirent la langue comparativement à leurs homologues ivoiriens ou sénégalais, les journalistes vivent difficilement de leurs métiers ce qui avait fait dire Mahamoudou Ouédraogo, l’ex ministre de la Communication que «la misère des journalistes conduit à un journalisme de misère». Comment expliquez-vous cette pauvreté, car c’est le mot dans la corporation ?

J’ai envie de dire que le seul corps de métier où on peut faire fortune sous les tropiques c’est celui du business, du commerce ! Le journalisme n’est pas le métier qu’il faut embrasser si l’on a pour vocation d’être riche. Cela dit, si les journalistes n’ont pas le capital économique, ils ont au moins le capital social. La viabilité des médias est tributaire de la viabilité du tissu économique du pays. C’est la publicité qui fait vivre en grande partie la presse. Et en la matière, il n’y en a pas assez pour tous ! Même la communication institutionnelle qui donne lieu à des reportages facturés ne suffit pas à renflouer les caisses des organes de presse. Il y a certes des efforts faits par l’Etat pour soutenir les médias privés à travers le Fonds d’appui à la presse privée, mais tout cela ne permet pas d’améliorer le traitement des journalistes. Les patrons de presse, face à cette situation trainent d’ailleurs les pieds dans la mise en œuvre de la convention collective. Dans ces conditions, des journalistes n’hésitent pas à tordre le cou à l’éthique et à la déontologie de leur métier. D’où la ruée vers le «gombo». Or un «gombo» gluant qui vous passe par la gorge, laisse des traces dans vos écrits. Le «gombo» vous décrédibilise ! Mahamoudou Ouédraogo, a raison de dire que «la misère des journalistes conduit à un journalisme de misère». Je pense toutefois que les journalistes burkinabè ne sont pas au bas de l’échelle sociale. On peut faire ce métier avec beaucoup de dignité et de fierté. Par exemple, la facturation des reportages devrait intégrer les frais de mission des journalistes à gérer à l’interne pour éviter les scènes dévalorisantes de journalistes que les organisateurs alignent pour des émargements ! Il faut se respecter pour se faire respecter. Aux jeunes journalistes, je me permettrais de leur suggérer de rester sourds aux sirènes du vedettariat qui ouvre les portes aux ambitions démesurées, sources de frustrations !

Il y a 30 ans on a parlé du printemps de la presse avec la floraison de titres. Ce printemps est aujourd’hui permanent. N’est-il pas temps de créer un Ordre des journalistes, pour normaliser un peu la profession où l’on entre et sort comme dans une auberge espagnole ?

La création d’un journal n’est pas soumise à une autorisation préalable. C’est cela qui explique la «permanence» de ce printemps de la presse depuis 1992. Recommander la création d’un Ordre pour régenter cette floraison va susciter des gorges chaudes, un peu comme la question de la limitation du nombre de partis politiques en débat actuellement. Je crois que la décantation viendra de la réalité du terrain économique. Certaines entreprises de presse à mon avis vont être confrontés aux exigences de l’économie des médias. La décantation se fera donc naturellement. De la quantité émergera la qualité. Concernant les journalistes eux-mêmes, il leur faudra faire preuve de plus de professionnalisme pour non seulement améliorer la qualité de leurs productions, mais aussi pour plus de crédibilité, toute chose qui permettra d’augmenter et de fidéliser leur lectorat ou leur auditoire, ce qui par ricochet assurera la viabilité de leur organe de presse. Un organe de presse viable est un organe de presse qui sera en mesure de créer de bonnes conditions de travail pour ses journalistes.

La liberté de la presse a-t-elle connu un recul avec l’avènement du terrorisme ?

L’avènement du phénomène du terrorisme est une nouvelle donne pour les médias burkinabè. Une donne qui fait appel de manière particulière à la responsabilité sociale du journaliste. Face à un certain nombre de manquements, l’Etat a dû légiférer. Je crois que la stricte application de l’éthique et de la déontologie du métier de journaliste aurait évité cette situation qui a été perçue comme un coup de canif à la liberté de presse. En période de crise, les citoyens demandent à ne plus être laissés dans l’ignorance quand il en va de leur sûreté. Ils deviennent davantage attentifs aux faits rapportés par les médias en vue de se créer leurs propres opinions et de mieux comprendre la situation qui survient. Le traitement de l’information devient alors délicat parce que le journaliste doit éviter d’être le «chargé de com» des terroristes en rapportant systématiquement et sans discernement leurs actions et aussi éviter les pièges de la «communication de crise» des structures administratives et politiques qui occultent souvent certains faits pour les besoins de leur cause. Je ne crois qu’il y ait eu un grand recul de la liberté de presse avec l’avènement du terrorisme. La presse burkinabè s’est juste adaptée aux exigences de la situation. De nombreux ateliers et séminaires de formation ont d’ailleurs été organisés à cet effet. S’il y avait eu un recul grave, le Burkina aurait dégringolé de plus de 2 points sur l’échelle d’évaluation de RSF.

Interview réalisée par Omar SALIA

 

 

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