Procès d’Ahmed Abba : Ce verdict-cadeau de  Noël qui libère

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«Si tant est que Ahmed Abba a pris des armes pour combattre Boko Haram ou aider la secte, qu’il soit condamné preuves à l’appui. Mais s’il n’a vraisemblablement aucun pilotis pour soutenir l’écrasante masse de cette accusation posée sur ses épaules, qu’on le libère et qu’on le rende à sa rédaction ce 21 décembre 2017».

Ces lettres écrites la veille du procès de Ahmed Abba sonnaient comme une prédiction. Ce 21 décembre, la Cour d’appel militaire camerounaise a en effet confirmé la libération du correspondant de RFI et l’a rendu à sa rédaction. 24 mois correspondent à 2 ans. Moins que ce que le temps qu’a mis le journaliste pour découvrir et compter toutes les dents acérées des geôles camerounaises. Car, l’homme a passé 875 jours à l’ombre. Soustraits des 730 jours auxquels la justice l’a condamné, l’Etat camerounais reste redevable au correspondant de RFI de 145 jours d’emprisonnement indu.

875 jours donc pendant lesquels des preuves ont été cherchées en vain pour condamner notre confrère. A défaut donc d’en trouver, pour sauver la face, la Cour d’appel  a prononcé ce verdict. Mais l’essentiel c’est qu’entre les lignes, tous savent désormais que c’était une cabale inutile contre le journaliste. L’essentiel désormais, est qu’il recouvre rapidement la liberté.

Une liberté perdue à Maroua un 31 juillet 2015. Il  se retrouve alors dans les liens de la détention au Cameroun. Un chef d’accusation hallucinant : les termes sont enveloppés, mais ils renferment bien une réalité, Ahmed Abba est accusé d’être un terroriste. Ou à tout le moins, d’en être un complice. S’enchaîne alors une série de déboires qui conduira le correspondant en langue haoussa de RFI dans les couloirs de la police, de l’armée et de la justice.

Mais si ce n’était que les ennuis judiciaires, son calvaire aurait certainement pu être plus supportable. Mais à l’audience du 16 novembre 2017, il a raconté avoir des violences d’ordre physique et moral entre les mains de ses geôliers. Tout ceci dans le but de lui faire avouer un crime qu’il crie sur tous les toits depuis deux ans n’avoir pas commis.

C’est à l’issue de ces péripéties et ces tortures que les accusations ont été formalisées : apologie d’acte de terrorisme et non-dénonciation et blanchiment des produits d’acte de terrorisme. Dans un contexte où le Cameroun est sur les dents pour combattre une certaine secte dénommée Boko Haram qui ne fait pas de cadeau à ses forces et à ses habitants, il est normal et compréhensible que tout ce qui est en rapport avec les terroristes soit traité avec la plus vigoureuse des manières.

Ces organisations qui ont décidé de se faire entendre par la terreur sont passées maîtres dans l’art d’utiliser des techniques insoupçonnées et des plus élaborées pour être fortes et atteindre leurs objectifs. C’est ainsi qu’elles recrutent parmi dans les rangs des hommes et des femmes sur lesquels aucun soupçon ne peut normalement planer.

La stratégie de l’infiltration par des acteurs irréprochables a connu des résultats. Le Cameroun pourrait donc utiliser cet argument pour voir derrière la tête de Ahmed Abba, le spectre du diable en personne. Du reste, il l’a utilisé.

Voilà pourquoi après une procédure judiciaire aux allures d’acrobaties juridiques pour trouver quelque chose à reprocher au journaliste, il a finalement été lourdement condamné. L’accusation pour  apologie d’acte de terrorisme a été abandonnée.

Les têtes chercheuses des accusateurs n’ont pas réuni assez d’éléments pour faire valider ce ticket qui aurait pu alourdir la peine prononcée contre Abba. Car il y en a eu : 10 ans d’emprisonnement pour non-dénonciation et blanchiment des produits d’acte de terrorisme.

Dans le contexte du terrorisme, les termes du journalisme sont fortement impactés. Les règles qui le gouvernaient jadis sont soumises à de fortes interrogations. Un journaliste doit-il dénoncer un terroriste qu’il a interviewé ? La réponse paraît aisée pour un nationaliste, un patriote, une victime d’un acte terroriste.

Mais le journaliste est plongé dans un profond dilemme, écartelé entre sa déontologie qui lui impose la protection de ses sources et son éthique qui lui soufflerait de penser à ses compatriotes, aux vies humaines qui pourraient être menacées. Faut-il condamner alors le condamner systématiquement lorsqu’il en prend un parti ? La question reste en suspens.

Cependant, et en tout état de cause, condamner un journaliste pour n’avoir pas dénoncé un terroriste est une condamnation qui est tirée par les cheveux et verse facilement dans l’exagération. Une exagération que la Cour d’appel  a sans doute tenu à diminuer. Vivement maintenant que les portes du jour s’ouvrent sur Ahmed Abba.

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