A deux jours du scrutin, Bamako la capitale malienne s’affaire à recevoir les derniers barouds d’honneur des candidats. L’objectif du premier tour du président sortant, Ibrahim Boubacar Keïta, semble avoir pris du plomb dans l’aile même si a quasi-totalité des pronostiqueurs le donnent présent au 1er tour. Pas question de rêver au ‘’Takokelé’’ (un coup ko). Alors que jusqu’à tard hier, le premier ministre et l’homme-à-tout faire du président sortant a réunit 20 représentants des 24 candidats. Objectif : désamorcer la bombe du fichier électoral, contesté par l’opposition, une grosse grenade, dont la goupille a été enlevée par Tiébilé Dramé, le directeur de campagne de ‘’Soumi’’.
En 2013, le président candidat Ibrahim Boubacar Keïta avait été porté à la tête du Mali par 77% de votants. Mais ça, c’était il y a cinq ans. Aujourd’hui, les choses ont visiblement changé en défaveur du président sortant qui n’a peut-être pas su apporter les solutions adéquates aux préoccupations des Maliens. A entendre les critiques formulées à l’endroit du président sortant, le projet de société «le Mali d’abord» qui avait suscité beaucoup d’espoirs, surtout au sein de la frange jeune, semble avoir mué rapidement à un autoprogramme du genre «IBK et famille d’abord».
Rapidement dépassé par son parc automobile, Bamako étouffe dans des interminables bouchons. Et à deux jours d’un scrutin qui présente beaucoup d’incertitudes, la nervosité est palpable. Les coups de klaxon intempestifs du trafic traduit aisément l’extrême nervosité des Bamakois.
Vendeur de puces au marché de Bamako, Mamadi Diarra est catégorique. «IBK doit partir. Depuis qu’il est là, on ne voit rien de concret, bien au contraire, le chômage augmente. Pendant ce temps, lui et sa famille dépensent pour se faire plaisir. Il place ses enfants, ses neveux, sa famille, pendant que les jeunes sont dans la pauvreté», argumente-t-il, avant de préciser qu’il n’est derrière personne. «Je ne suis ni Modibo Diarra, ni Aliou Diallo, ni Senko. Que le meilleur gagne, mais que IBK ne soit plus président», conclut-il.
Dans sa Mercedes à la couleur jaune, Salif Coulibay est un jeune chauffeur de taxi. Fervent supporteur d’IBK, sa voiture est un véritable support d’affiches ambulantes. «Il faut laisser IBK terminer ce qu’il a commencé, énonce-t-il. Nous les Africains, devrions avoir de la patience. On a crié ici qu’ATT n’était pas un bon président, voilà qu’aujourd’hui, on le regrette. Les gens mettent le chômage en avant pour dire que IBK a échoué, mais le problème, c’est parce que les jeunes ne veulent pas travailler, ils veulent gagner l’argent facilement, voilà leur problème», lâche-t-il amèrement.
Quoi qu’il en soit, Cette présidentielle 2018 ne sera pas un long fleuve tranquille. A dire vrai, la polémique sur le fichier électoral est venu amplifier la crainte la plus partagée aussi bien par les Maliens, que par les observateurs. Si dans le milieu occidental la situation est commentée en sourdine, certaines associations comme l’ADEMA n’ont pas manqué de réagir en appelant à de meilleures dispositions pour une élection libre, transparente et juste. Le premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga a même été invité à «éviter toute déclaration qui, dans le contexte actuel, apparaît comme une menace et mettrait le feu aux poudres». C’est dire à quel degré, l’escalade est redoutée.
Sur cette même longueur d’onde, la sortie du célèbre Ras Bath dont on connaît la popularité auprès de la jeunesse, a sans doute troublé le sommeil du camp IBK. De son vrai nom Mohamed Youssouf Bathily, le porte-parole du Collectif de défense de la république (CDR) a dans une déclaration dit vouloir «attirer l’attention de l’opinion nationale et internationale sur le risque potentiel de fraudes électorales par des manipulations non autorisées du fichier électoral (…) Nous exigeons que les élections présidentielles du 29 juillet 2018 se déroule sur la base du seul fichier audité en avril 2018 faisant état de 8 000 462 électeurs repartis en 23 041 bureaux de vote dument identifiés», prévient le CDR qui relève que seule une organisation d’élection «crédible, transparente et régulière» peut garantir un «climat social postélectoral apaisé». Pointant du doigt les services et administrations de l’Etat en charge des élections, le CDR prévient qu’ils seront tenus «pour seuls responsables, toute détérioration du climat social». Quant au bilan du président sortant qui reste très populaire dans certaines localités, Ras Bath le juge à titre personnel, «complètement négatif».
Aujourd’hui, plus personne ne doute que cette élection va se dérouler dans un climat délétère, et l’ancien dictateur malien, le général Moussa Traoré, y est allé de sa touche en affirmant qu’«aucun candidat ne peut gagner au 1er tour». Au moment où nous bouclions cet article, le premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga recevait les 20 représentants des 24 candidats car la différence de près de 1 million de votants entre le corps électoral du 27 avril et celui sur le site de la DGE pourrait être une bombe postélectorale. Va-t-il parvenir à dissiper la méfiance des opposants et à restaurer la confiance du gouvernement auprès des Maliens ? Rien n’est moins sûr, au moment où se préparent les dernières batailles, mais aussi les dernières alliances. Car chacun sait que les 24 heures d’avant le jour J sont propices à tous les marchandages, compromis et compromissions, promesses et revirements.
Hamed JUNIOR, à Bamako

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