A pas de sioux, prudentissime, et … fin calculateur, Alpha Condé a obtenu son troisième mandat. Il en est fier. Content. Un peu comme l’enfant qui a pleuré, couru et crié après son bonbon préféré et l’a enfin eu entre ses mains. Il exulte. S’extasie. Fier d’avoir pu réussir là les pronostics les plus optimistes le programmaient perdant. Il avait de quoi pavoiser hier 15 décembre, vu la brochette de chefs d’Etat qui ont fait le déplacement du stade Mohamed V pour assister à cette investiture, il y avait en effet du monde présidentiel. Ses pairs de la sous-région ont fait le déplacement de Conakry, dont le président de la CEDEAO, Nana Akufo-Addo. Certes, Alassane Dramane Ouattara n’est pas venu, ni le Sénégalais Macky sall, encore moins le Guineebissauen Emballo. Mais on peut les comprendre. Surtout l’Ivoirien qui venait tout d’être fraîchement investi lui aussi et il a fort à faire pour calmer les vagues qui secouent les berges de la Côte de l’ivoire. Mais il est des absences qui s’expliquent autrement, sinon par ce 3e mandat. Si certains ont tû ce désaccord en sourdine et ont été à Abidjan il y a 48 heures, ils ont boudé le Guinéen.
Alpha Condé aura ainsi toutefois réussi à créer une petite scission au sein du syndicat des chefs d’Etat. Le Nigérien Mahamoudou Issoufou n’a pas mis les pieds à Conakry. Normal, si l’on sait que l’hôte a eu le courage d’inviter son rival Hama Hamadou. Une invitation-parade, car le Nigérien, qui veut rester collé à ses principes d’un des hérauts anti-3e mandat, ne pouvait pas aller congratuler son homologue guinéen qui a marché sur des cadavres pour rester au palais de Sékoutoureya. Le Nigérian Muhamadu Buhari était également aux abonnés absent pris sans doute dans la tourmente de la dernière prise d’otages spectaculaire de Sekau ?). Mais lui aussi dont les 3e mandats horripilent, ne pouvait pas venir à Conakry. Sans doute l’ex-putschiste reconverti à la démocratie, qui a combattu dans la guerre du Biafra, sait de quoi une crise politique peut engendrer. Tout comme le Sénégalais Macky Sall qui est resté à Dakar. Pour le bissau-guinéen Embalo, c’est sa présence qui aurait étonné ! Si l’on connaît le soutien sans équivoque qu’il a porté à Cellou Dalein Diallo, les déboires et prises de bec qu’il a eues avec l’opposant « historique» de la Guinée-Conakry en passe de devenir aussi «le président historique», sans compter la sortie tonitruante du jeune président sur les «coups d’Etat institutionnels», tout devin de classe débutante aurait pu prédire sans grande marge de se tromper que l’avion bissau-guinéen ne se poserait pas sur le tarmac de l’aéroport de Gbessia.
A l’évidence donc, cette affaire de troisième mandat arraché au forceps en Guinée et en Côte d’Ivoire a installé un malaise certain au sein de la galaxie dirigeante de l’Ouest Afrique. Les regards torves vers les «victoires» de Alpha Condé et de Alassane Ouattara ne doivent pas manquer. Du reste, il n’est pas certain que les chefs d’Etat présents à l’investiture Condé partagent forcément son enthousiasme et qu’ils ne soient allés que pour des raisons purement diplomatiques en lien avec des enjeux beaucoup moins coutumiers de la sphère purement politique.
Du reste, l’on verra si cette graine de la troisième mandature semée par les deux chefs d’Etat poussera dans d’autres pays de la sous-région dans les prochaines années. On pourra alors juger de la sincérité de certaines prises de position ou comportements tacites de maintenant. Car qui aurait cru que le «prisonnier de Lassana Conté», l’ex-pensionnaire de la Maison centrale de Corinthie, qui professait qu’il fallait absoudre les présidents qui s’accrochaient à leur fauteuil, comprendre une amnistie totale et irrévocable pour leur permettre d’avoir une vie après la présidence, qui l’eut cru, que le prof. Alpha, serait partisan du pouvoir advitam aternum ?
En attendant, Alpha Condé a eu son troisième mandat et il doit maintenant s’atteler à le gérer. Et c’est ce service après-vente (SAV) qui doit contenir des poils de hérisson. Le premier élément de ce SAV, et le plus coriace sans aucun doute, c’est bien évidemment la réconciliation nationale. Comment se réconcilier avec son adversaire Cellou Dalein Diallo qui continue de crier au vol et de clamer que c’est lui le véritable vainqueur de la présidentielle ? Comment cautériser les plaies rouvertes à l’occasion de cette élection du 18 octobre ? Ces dizaines de victimes électorales restent au travers de ce 3e mandat. Comment recoller ces 2 Guinées désormais bien évidentes et béantes ?
Alpha Condé a appelé à oublier le passé ! Quel bel appel ! Mais comment demander à des familles par la mort de leurs proches du fait de la police «d’oublier le passé» ? Aussi facilement ? Condé dit que ses deux derniers mandats ont été jalonnés de grisailles et qu’il n’a pas pu y voir clair pour dérouler ses chantiers. Mais s’il n’arrive pas à parler aux Guinéens, il aura beau faire 10 mandats supplémentaires et chausser dix millions de lunettes, il n’y verra pas plus clair ! Ce sera toujours le brouillard ! Or parler à ces compatriotes, c’est mettre du baume dans les cœurs, le pourra-t-il durant ces 6 ans que dure le mandat ? Après le difficile achat du 3e mandat, voici le temps de l’herculéen SAV (Service après-vente) .
Ahmed BAMBARA


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