Le doyen des juges d’instruction n’a pas fait dans la dentelle à Niamey. Les leaders de la société civile arrêtés le 25 mars 2018 après une manifestation interdite ont été inculpés illico presto. Avocat, suppléant de députés, hommes politiques, simples quidam, ils ont passé leur première nuit en prison. De plus, ils n’auront pas dormi dans les mêmes geôles. Comme pour éviter des conciliabules aux effluves pas catholiques, ils ont été répartis dans des prisons différentes, assez loin de la capitale : Filingué, Tillabery, Ouallam, Daikaina…
Evidemment, la société civile et l’opposition ne voient pas d’un bon œil cette manière expéditive de régler la question de leurs revendications. Raison pour laquelle les avocats ont décidé de monter au créneau pour demander que le juge qui a pris cette décision soit remplacé. Mais auront-ils seulement gain de cause ?
Il faut rappeler que le fond du problème a les traits de la loi de finances 2018. Dès ses premiers vagissements à peine sorti des entrailles du ministère en charge des finances, ce texte a été virtuellement jeté sur la place publique et pilé copieusement des pieds et des mains par les leaders de l’opposition et la société civile, réunies sous un même manteau pour entonner le chant du refus de ladite loi. La loi de finances étant la politique chiffrée d’un gouvernement, à l’évidence le Budget 2018 ne passe pas au niveau des Nigeriens.
Principal argument invoqué pour la vouer aux gémonies ? Elle est anti-sociale et anti-populaire. Les nouvelles mesures fiscales qui y sont notées vont esquinter des Nigériens jugés déjà exsangues et vont contribuer à faire grimper au ciel les prix des denrées alimentaires, la logique séculaire voulant que nouveaux impôts entraînent augmentation des prix des produits.
Ils ont donc une vague qui recueille facilement des sentiments de soutien des populations sur laquelle ils surfent depuis 2017, slalomant entre des manifestations auxquelles répond la majorité avec d’autres marches. Mais celle du 25 mars 2018 n’a pas été du goût des autorités. Et là également, elles avaient un argument : la situation sécuritaire ne permet pas d’organiser une marche un soir à Niamey, surtout avec Boko Haram et ses cousins germains qui rôdent, n’attendant que le moindre interstice pour se glisser dans l’armure du Niger et le frapper là où ça peut faire mal. Elle a donc tout simplement été interdite.
En assurant que c’était un subterfuge pour les empêcher de manifester et en bravant l’interdit, le lourd bras des forces de l’ordre et de la Justice a été légalement habillé pour leur tomber dessus, avec une lourdeur et une pesanteur qui forcent cependant des interrogations.
Certes, le climat sécuritaire du Niger et de cette partie de l’Afrique en général commande et impose de ne plus faire mumuse avec les règles de sécurité. Toute personne qui les enfreint devient automatiquement un suspect contre qui les griffes de la répression peuvent ne pas être tendres. Les leaders de la société civile et de l’opposition auraient pu donc surseoir à leur manifestation, par sursaut de patriotisme et pour ne pas nourrir les accusations de la majorité qui croit qu’ils veulent profiter de ce prétexte pour assouvir leurs desseins de devenir calife à la place Mahamoudou Issoufou.
En plus, cette guerre de longue haleine contre le terrorisme a besoin de fonds qui puissent soutenir les calories brûlés pendant cette course de fond. Il faut demander aux partenaires de mettre la main à la poche mais les Nigériens doivent aussi, ne serait-ce que dans un souci d’orgueil, trouver les moyens de soutenir par eux-mêmes l’effort de guerre. L’un des chemins indiqués n’est-il pas l’impôt ?
Toutefois, il ne faudrait pas que le pouvoir se serve de cet alibi pour également avoir la main dure sur ses contestataires. Le cas échéant, l’on pourrait par se demander si le président nigérien penserait à durcir son régime. Ce qui serait d’ailleurs curieux pour cet opposant qui a conquis le pouvoir au bout de 20 ans de lutte politique qui est donc un enfant de la démocratie dont le second et ultime mandat prend fin en 2021. Mais est-il resté démocrate ?
Ahmed BAMBARA


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