Belle a été la mobilisation. Les contempteurs diront qu’elle n’était pas aussi extraordinaire. Mais c’est normal. On est en 2018. Pas en 2014 ni 2013. Le contexte a changé. La nature de la contestation aussi. Il n’est plus question ici de la modification de l’article 37, de la volonté d’un clan de garder ses immenses ailes déployées sur tout un pays. Il s’agit ici de l’expression normale de la démocratie. Des citoyens ne sont pas contents de la façon dont le pays est gouverné. Ils ont donc le droit de le manifester, comme le leur reconnaît la démocratie.
Il y a donc lieu de de saluer cette expression-là de la démocratie plus qu’une autre. Tout comme il faut reconnaître que la manifestation s’est déroulée avec une réelle maîtrise du service d’ordre de l’opposition, sans anicroche, sans désordre et sans casse. Du reste, un certain Zéphirin Diabré, chef de file de l’opposition politique burkinabè, n’avait pas habitué à autre chose au Burkina Faso.
Les déclarations et autres discours prononcés pendant cette marche-meeting ne sont pas éloignés des réalités que vivent les Burkinabè et qu’ils racontent autour d’un kiosque, dans les bureaux, au marché ou dans n’importe quel lieu de retrouvailles humaines où la parole est libérée. L’insécurité au Sahel et à l’Est inquiète fortement. Le pouvoir d’achat des Burkinabè connaît de fortes tensions. Les services sociaux répondent difficilement à l’appel. Bref, les signaux ne sont pas totalement au vert et les lendemains ne sont pas rassurants. L’opposition a donc tout à fait raison de voguer sur cette vague.
Toutefois, certains messages véhiculés lors de cette manifestation n’ont pas manqué de réveiller la fibre de l’interrogation. Comme ces pancartes qui appellent au retour de l’ancien président Blaise Compaoré. Ou alors celles qui vocifèrent pour la libération de Safiatou Lopez. Passe encore, que ceux qui ont bâttu le macadam ce 29 septembre demandent à Roch de congédier les ministres de la défense et celui de la sécurité. Encore que c’est le président du Faso qui décide. Mais le retour de Blaise, la libération de Mme Lopez… c’est à n’y rien comprendre !
Ou encore cette absence criarde d’affiches qui manifestent le soutien de l’opposition politique, ou à tout le moins, des manifestants aux forces de défense et de sécurité. Sur ce dernier point, l’on sait que tout Burkinabè et même ceux qui étaient à la Place de la Révolution ne peuvent pas ne pas avoir une pensée pour les forces armées. Mais pourquoi ne pas l’avoir exprimé ? Car, le Chef de file de l’opposition politique a martelé à qui veut l’entendre que cette marche avait pour but principal d’exprimer le soutien des Burkinabè aux forces armées nationales. Mais ce 29 septembre, c’est un point qui a beaucoup manqué.
En qui concerne les autres aspects, l’on a vu que les intérêts de certains partis politiques au sein de l’opposition ont pris le dessus sur le reste. Voilà pourquoi il est apparu un appel au retour de Blaise Compaoré, qui comme on le sait et ce n’est un secret pour personne, le vœu le plus cher du CDP. Mais qu’à cela ne tienne. C’est le libre droit de l’ancien parti au pouvoir de voir revenir son champion au Burkina. Mais qu’en est-il de ceux qui veulent la réconciliation sans passer par la case de la justice ? C’est là l’un des plus gros problèmes de l’opposition actuelle, hétéroclite, au passé divergent et à certains intérêts non conciliables. Il est difficile pour celui qui a perdu un proche pendant l’insurrection ou lors du coup d’Etat de marcher derrière ce type d’affiche à une marche, quand bien même il est de l’opposition.
Certes, certains problèmes soulevés par l’opposition politique sont vrais et méritent d’être pris en compte par le pouvoir actuel. Il ne faudrait pas du reste que ce dernier commette l’erreur d’un CDP ou d’un Blaise Compaoré qui a négligé, qui a exprimé un gros dédain vis-à-vis du grondement de la population, mais qui a fini par s’en mordre les doigts. Il faut prendre en compte les critiques et tenter de leur apporter des réponses. Toutefois, l’opposition devra se mettre d’accord sur ce qu’il faille dire en union et ce qu’il faut exprimer chacun dans son camp. Car même si la politique est le domaine des opportunités, cela fait désordre qu’un Zéphirin Diabré, qui a condamné le coup d’Etat de septembre 2015, a vu les morts tomber lors de l’insurrection populaire consécutive à la lutte qu’il a menée contre la modification de l’article 37, vienne aujourd’hui à soutenir une réconciliation sans Justice.
Ahmed BAMBARA


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