Quand on est presque nonagénaire, qu’on a la justice internationale aux trousses, qu’on s’est tapis dans plusieurs pays pendant un quart de siècle parce qu’on a la conscience alourdie par des choses, et qu’in fine on va se retrouver dans le box des accusés, pour s’expliquer, alors qu’on n’a plus bon pied, bon œil, et qu’on a sûrement plus la vie devant soit mais pourtant beaucoup à dire, la justice a intérêt à faire vite.
Félicien Kabuga, le présumé «Monsieur finances» de l’abjection rwandaise de 1994 est actuellement dans ce cas. Hier 30 septembre, la Cour de cassation parisienne a décidé du transfèrement de ce dernier au Tribunal international pour le TPIR siégeant à Arusha en Tanzanie, pour répondre de plusieurs chefs d’inculpation notamment «achat massif de machettes et d’armes et de munitions et d’un appel au meurtre et financement des sicaires des 800 000 victimes du génocide. L’ex-patron de Radio-télé Mille collines est un client-étalon pour cette juridiction supranationale à cause de ses crimes, mais aussi de son âge.
Malgré la rude bataille procédurière de ses avocats qui ont bâti leur plaidoirie sur la santé chancelante de l’accusé, pour demander son procès à Paris, la Cour de cassation a balayé cet argumentaire superfétatoire, et a ordonné qu’il se défende en Tanzanie, pas loin du Rwanda, où des rescapés de victimes pourraient d’ailleurs venir témoigner.
Comment le «Eichman Adolf» rwandais a-t-il planifié cette œuvre funeste ? Qui étaient ses complices ? Félicien Kabuga devra pouvoir parler, et la déclassification des archives françaises sur le Rwanda entre 1990-1994 ordonné par Emmanuel Macron devrait aussi pouvoir aider au jaillissement de la lumière.
Mais ce procès urge pour l’âge et la santé de l’accusé. A 87 ans, on a le droit d’avoir des bobos chroniques, et beaucoup sont ceux qui veulent que Félicien Kabuga connaisse la justice temporelle, avant celle divine. Or le procès ne devrait débuter qu’en fin 2021, début 2022, et pourrait durer en 1ère instance, 3 à 4 ans, ce qui fait 6 à 7 ans de plus, et donner 94 ans à Félicien Kabuga, si Dieu lui prête vie.
D’où une course contre la montre à laquelle doit se livrer la juridiction d’Arusha, les fantômes des mille fosses communes rwandaises, ne connaîtront la paix qu’à ce prix, et la vérité est aussi intimement liée à la justice des hommes, pas à une ordalie, qui est métaphysique.
Zowenmanogo ZOUNGRANA


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