Les Libériens sont allés aux urnes hier 26 décembre, dans le calme et la sérénité, symptomatiques de ce à quoi ils aspirent dans le futur: la paix et le développement. Pour tourner aussi une page. Définitivement. Pour la première fois, depuis 1940, une transition démocratique, sans passif d’effusion de sang, va s’installer.
Un savon pour essuyer toutes ces années de souffrances, de morts, de larmes, de peines et d’absence de joies. Aube nouvelle sur le Liberia qui prend résolument le chemin de l’Etat de droit, depuis 2005 où l’ex-fonctionnaire internationale, Ellen Johnson Sirleaf a étrenné la présidence. Nouvel lever du soleil sur Monrovia, car ce second tour qui désignera le président du pays marque véritablement, une révolution copernicienne, dans la vie nationale, dans un Liberia habitué aux guerres, aux coups d’Etat et règlement de comptes entre factions rivales. Du jamais vu depuis 1940!
Dans les lueurs de ce soleil qui se lève, des âmes innocentes vont enfin goûter à la sérénité. Elles pourront dire qu’elles ont expérimenté ce qui semblait être un luxe pour elles depuis tant de temps. Elire tranquillement un nouveau chef d’Etat, sans être en train de chercher des responsables d’atrocités à juger ou à éteindre des flammes attisées par la cupidité, la méchanceté et la bêtise des humains.
Des âmes aussi pas si innocentes que cela vont se vautrer dans la blancheur immaculée de cette aurore. Des âmes pécheresses qui ont été absoutes par le linceul du sénat ou de la députation. A jamais, ils seront couverts par le voile de l’impunité, rescapés d’une justice qui n’a plus trop envie de remuer le couteau dans la plaie cicatrisante. Mais c’est ainsi qu’il faut comprendre les sautes d’humeur de l’Histoire, qui oublie souvent de laver certains recoins de la conduite des Hommes, comme pour rappeler que la perfection parfaite n’est pas l’apanage de ce monde.
Mais ne faut-il pas surtout regarder le verre à moitié plein ? Car elle est plutôt pleine, la gourde du contentement démocratique. Mais une gourde encore trop fragile. Le président qui sera élu lorsque les urnes cracheront leur vérité à la face du Liberia, devra songer à tisser un support de rassemblement en ouate pour soutenir cette cohésion sociale dont la peau est aussi vulnérable que celle d’un nouveau-né qui vient de pousser son premier vagissement. L’espoir est en effet, permis, que des présidents tels «Super Glu», surnom de Charles Taylor, ou du sergent-chef Samuel Doe ne pourront plus franchir le seuil de l’Executive Mansion House. Mais la vigilance reste de mise, car les vieux scories communautaristes ne sont pas tous brûlés et si la longue guerre «des diamants» des années 90 reste indélébile, elle n’éclipse pas pour autant l’horrible régicide du 12 octobre 1980. Ce jour-là, un inconnu au bataillon, et même par les chancelleries, dans cette armée macrocéphale (plus de gradés que d’hommes du rang), un sergent-chef du nom de Samuel Kamyen Doe à la tête de soldats, tue le président Tolbert dans son lit, avant de passer ses ministres par les armes, sur la plage ! Derrière ces tueries, s’est joué en lame de fond, une tentative de solde de tout compte entre un «indigène» Samuel Doe et un descendant d’anciens esclaves américains, un «Americano-Liberien» William Tolbert. Pour la petite histoire, le président Houphouët de Côte d’Ivoire aurait juré, à l’époque d’œuvrer à faire partir Samuel Doe qui avait massacré son ami Tolbert. Un Samuel qui finira ‘’saucissonné’’ dans une brouette sous le regard hilarant d’un certain… Prince Johnson.
Charles Taylor qui purge une peine de 50 ans à la CPI et l’actuel sénateur du Nimba, Prince Johnson sont «hors-jeu», mais attention au reflux identitaire, c’est-à-dire, à l’exhumation de la fibre ethnique entre «indigènes» et «Americano-Liberiens». Et le dérapage langagier de l’ancien sociétaire du PSG et l’AC Milan «Je suis un vrai Liberien…» ne doit plus être entendu et mis sur le compte d’une regrettable extrapolation. Car si la «liberialité» venait à gagner le pays, et avec certaines rancœurs que le temps cicatrise mais qui peuvent remonter, la Côte d’Ivoire des années 2000 serait un jeu-vidéo, par rapport à ce que les Libériens pourraient se livrer.
Pour la première fois, les Libériens vont ainsi être vraiment libérés du joug de leur passé.Mais à la différence de la peau fanée du serpent qui ne lui servira plus après sa mue, le manteau fait de guerre civile dont sont en train de se débarrasser les descendants des esclaves américains n’en est pas désagrégé pour autant. Il suffit d’un petit bruit, aux notes ethniques ou communautaires, pour que les vieux démons se réveillent de ce sommeil qui n’est jamais plus que léger.
L’éclosion de cet œuf arrivé à maturité et accouché et couvé dans la douleur ne dépend plus que des Libériens. Que la raison prévale afin qu’au soir de la proclamation des résultats, ce mot prononcé il y a des temps immémoriaux pardon, lorsque les ancêtres furent deversés sur les rives du Mono, puisse retentir à nouveau, mais avec une intonation virginale : «Liberia !» .UNE
Ahmed BAMBARA
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