Avortement clandestin au Burkina : Une pratique interdite mais qui a la peau dure

Avortement clandestin au Burkina : Une pratique interdite mais qui a la peau dure

L’avortement est une pratique interdite au Burkina Faso sauf en cas de viol, d’inceste, de malformation du fœtus incompatible avec la vie extra-utérine, ou quand le maintien de la grossesse met en péril la vie de la maman. Cependant, beaucoup de jeunes filles, qui contractent des grossesses non désirées, s’adonnent volontairement et de manière clandestine à cette pratique malgré les risques de complications à court et long termes auxquels elles s’exposent. Pour comprendre le phénomène, nous nous sommes entretenus avec Dr Aïda Justine Bakyono, gynécologue-obstétricienne. Avec elle, il a été question des raisons, de l’ampleur du phénomène dans notre pays, de la règlementation en la matière…Lisez !

C’est quoi un avortement ?

L’avortement c’est l’interruption d’une grossesse avant la période de viabilité du fœtus, c’est-à-dire avant la 28e semaine d’aménorrhée, soit 6 mois de grossesse. Ce qui correspond à un fœtus de moins de 1 000 g. 

Il faut noter que cette définition a été révisée par l’OMS. Au regard des progrès technologiques en périnatalogie qui permettent d’assurer la survie de fœtus plus petits, ce terme a été ramené à 22 semaines d’aménorrhée soit moins de 500 g. Cependant en Afrique, la Société africaine de gynécologie obstétrique (SAGO) maintient la première définition qui est l’interruption d’une grossesse avant 28 semaines d’aménorrhée.

Il existe combien de types d’avortement ?

Il existe deux types d’avortement :

 l’avortement spontané, qui survient en dehors de toute action ;

l’avortement provoqué, qui survient après qu’on ait entrepris des manœuvres, qui peuvent se faire à travers l’introduction de matériels dans le vagin, la prise de médicaments ou tous autres actes posés dans le but d’interrompre la grossesse. Dans ce type d’avortement, il faut distinguer l’avortement provoqué volontaire clandestin (interdit au Burkina) considéré comme un acte criminel de l’avortement provoqué médical (autorisé) qui peut être réalisé pour diverses raisons. 

Qu’est ce qui peut expliquer un avortement spontané ?

Plusieurs raisons peuvent être à l’origine d’un avortement spontané.

D’abord, les causes liées à l’utérus. Il s’agit ici des malformations de l’utérus, une anomalie au niveau du col utérin (l’orifice qui se ferme quand la grossesse commence, peut malencontreusement  rester ouvert chez certaines femmes). C’est ce que nous appelons la béance cervico-isthmique.

En marge des causes utérines, nous avons celles maternelles. En général, ce sont des maladies chez la maman qui peuvent être à l’origine d’un avortement. Il y a aussi la prise de médicaments, comme chez une femme qui est sous chimiothérapie ou bien lorsque la grossesse survient alors que  la femme a déjà un stérilet en place, la consommation d’’alcool et/ou de tabac ;

Ensuite, les causes infectieuses avec en tête le paludisme au Burkina, les infections virales liées au VIH et la syphilis ;

Les causes liées à l’œuf lui-même, qui peut présenter des anomalies chromosomiques ; elles constituent les causes les plus fréquentes d’avortement spontané ;

Enfin, les causes hormonales : lorsque la grossesse survient et qu’il n’y a pas une sécrétion suffisante d’hormones pour maintenir l’évolution de la grossesse

Comment éviter un avortement spontané ?

Cela va découler des différentes causes évoquées ci-dessus. Si on sait que la maman est porteuse d’une maladie guérissable, il faut d’abord que cette maladie soit soignée avant l’entreprise d’une grossesse. S’il s’agit d’une maladie qui ne peut pas être guérie, il faut la stabiliser avant que la femme n’entreprenne la grossesse. Lorsque la grossesse débute et on se rend compte de la présence d’une infection, il faut soigner cette infection. Cependant, il y a certains cas où l’avortement est inévitable comme les malformations de l’utérus et les anomalies liées à l’œuf.

Qu’est-ce qui peut amener une femme à pratiquer un avortement provoqué clandestin?

 Il y a des femmes qui ont recours à cette méthode parce qu’elles ne veulent pas de la grossesse. En majorité, ce sont des jeunes filles qui ne sont pas encore mariées, qui ne veulent pas interrompre voire hypothéquer  leurs études ou qui ne veulent pas perdre une opportunité d’emploi. Pour d’autres, c’est par crainte des parents parce que la grossesse est intervenue au mauvais moment. Ce sont entre autres les raisons qui peuvent amener une femme  à demander un avortement.

Jusqu’à quel terme peut-on pratiquer l’avortement clandestin sans grand danger ?

L’avortement provoqué clandestin est toujours dangereux. Il n’y a pas un moment où on peut le pratiquer sans danger. Comme son nom l’indique, il est fait clandestinement et non dans un milieu médicalisé. Les risques sont énormes notamment les risques d’hémorragie et d’infections à court terme ; et le risque de stérilité à long terme. En plus de cela, la plupart des femmes qui ont recours à l’avortement clandestin  tardent à consulter en cas de complications.

Quel est l’ampleur du phénomène au Burkina ?

Au Burkina, en 2016, l’annuaire statistique national a rapporté que 24,5 % des patientes reçues à la suite d’avortement étaient des avortements clandestins. Par ailleurs, 4,5% de complications obstétricales étaient  liées aux complications d’avortement clandestin. Cependant, ces chiffres ne représentent que la partie visible de l’iceberg.  Vu que la loi ne l’autorise pas, la plupart des personnes qui ont recours à l’avortement provoqué clandestin le font en secret, dans des conditions risquées,  mettant en danger la santé et la vie de la femme.

Rencontrez-vous souvent des cas dans l’exercice de votre fonction ?

Oui, nous en rencontrons beaucoup. Personnellement j’en ai reçu plusieurs cas. Avec les conseils que nous leur donnons et les informations sur les dangers de l’avortement, certaines reviennent à de meilleurs sentiments et acceptent de garder leur grossesse. Les autres sont perdues de vue,  et on suppose qu’elles vont s’adonner à l’avortement clandestin.

Qui peut bénéficier d’un avortement médicalisé dans notre pays ?

Au Burkina Faso, l’interruption volontaire de grossesse est encadrée par la loi numéro 025-2018/AN du 31 mai 2018 portant Code pénal et celle n 049-2005/AN du 21 décembre 2005 portant santé de la reproduction.  Selon la législation, pour bénéficier d’un avortement médicalisé au Burkina il faut :

Soit être porteuse d’une maladie qui pourrait être aggravée par la grossesse. (Ce risque doit être prouvé). Et même pour cela, un seul médecin ne peut pas décider de réaliser l’avortement. Il faut au moins deux gynécologues avant d’autoriser l’interruption de la grossesse.

Soit l’enfant à naître est porteur d’une tare ou d’une maladie qui est incompatible avec la vie extra-utérine. Dans ce cas également, il faut apporter une preuve  justifiant que l’enfant à naitre ne pourra pas survivre en dehors de l’utérus.

Soit être victime de viol ou les cas de grossesse incestueuse : il s’agit des avortements eugéniques.  Ces cas de viol ou d’inceste doivent aussi être prouvés.

Quelles peuvent être les complications de l’avortement en général ?

L’avortement spontané a peu de complications car l’expulsion se fait en bloc avec moins de saignements.

Les complications sont plus graves pour ce qui est de l’avortement provoqué clandestin. On note :

Les complications immédiates qui sont la mort subite, l’hémorragie pouvant entrainer la mort et la douleur qui est très atroce.

Les complications secondaires : l’infection, le tétanos, l’insuffisance rénale…

Les séquelles représentées par la stérilité secondaire  qui arrive parce que les trompes sont bouchées (obstruction tubaire) ou parce que les parois de l’utérus se sont accolées (synéchies utérines). Il y a aussi les séquelles psychologiques.  

Ne pensez-vous pas qu’il faut revoir les textes sur l’avortement afin d’éviter les pratiques clandestines qui causent de nombreux décès ?

Personnellement je dirai oui, dans le but de sauver des vies. Vu les nombreuses femmes et adolescentes qui perdent la vie à la suite d’avortement clandestin, je pense que les textes méritent d’être revus pour que dans certaines conditions, ces pratiques soient entourées de précautions médicales afin qu’on ne continue pas à perdre des femmes et des jeunes filles par suite de complications liées à l’avortement clandestin.

Des conseils à l’endroit des femmes  ou jeunes filles qui seront tentées de s’adonner à un avortement provoqué clandestin ?

A l’endroit de ces dernières  je dirai que lorsqu’elles ne désirent pas de grossesse, il faut approcher les centres de santé pour choisir une méthode de contraception. Les méthodes de contraception sont multiples et disponibles partout au Burkina Faso, en plus elles sont gratuites.   Mais au cas où la grossesse n’a pas pu être évitée, je conseille à ces femmes de la porter jusqu’à terme car les complications de l’avortement clandestin sont multiples et peuvent aller jusqu’à la mort.

Propos recueillis Boureima SAWADOGO

COMMENTAIRES

WORDPRESS: 0
Aujourd'hui au Faso

GRATUIT
VOIR