CAN 2019 en Egypte : Un mois pour oublier odeur de scandale et phobie sécuritaire

CAN 2019 en Egypte : Un mois pour oublier odeur de scandale et phobie sécuritaire

Terre d’accueil de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) 2019, l’Egypte abrite ce vendredi 21 juin et ce, jusqu’au 19 juillet prochain, la 32e édition. Autrefois très sélectif, le cercle du raout des pieds agiles s’est considérablement agrandi, passant de 16 depuis Burkina 98, à 24 cette année. L’équipe dirigée par le Malgache Ahmad Ahmad s’est donnée pour mission de démystifier le plus adulé des évènements sportifs du continent, en lui modelant un éclat populaire.

Du coup, les eaux du Nil vont connaître un fourmillement bien particulier, où se défieront pendant un mois, les habitués des eaux profondes, les sujets d’eaux douces et autres bestioles domestiques, sauvages ou aillées. Quoi qu’il en soit, la décrue du Nil, provoquée par les bruits de bottes et le vent de sable venus du Caire (siège de la CAF) laisse transparaître un fond verdâtre d’immondices aux odeurs nauséabondes. A la croisée des affluents, ballottés par les flots, Ahmad Ahmad et Al-Sissi misent chacun sur la magie de la boule de cuir pour sortir la tête hors de l’eau.

Fragilisé par de multiples dérives à forte odeur d’enrichissement illicite, le successeur du Camerounais Issa Ayatou a été interpellé à Paris, le 6 juin dernier. Il a certes été relâché après une brève garde à vue, mais le Malgache sur qui pèsent de sérieux soupçons de malversations et bien d’autres griefs, est désormais dans l’œil du cyclone. Ahmad est peut-être en train de vivre sa dernière CAN, chez un hôte qui gouverne par la poigne, et on sent encore l’odeur cadavérique de son prédécesseur Mohamed Morsi envelopper la fête du football. Un Al-Sissi qui s’est empressé d’ensevelir l’encombrant prisonnier, qui aura subi la foudre de son pourvoir jusqu’à son dernier souffle. 

Côté pratique, cinq (5) villes ont été retenues : le Caire, Alexandrie, Port-Saïd, Suez et Ismaïlia. L‘utilisation du stade d’Ismaïlia pose problème après les violences survenues le 18 janvier 2019 lors d’un match qui a opposé Ismaïly FC au Club africain de Tunis en Ligue des champions CAF. Une situation qui est venue remettre sur la table, les violences dans les stades égyptiens même si un comité suprême présidé par le premier ministre Moustafa Madbouli a été mis en place. 

Plus besoin de rappeler qu’en février 2012, au moins 74 personnes, pour la plupart des supporters d’Al Alhy sont mortes dans des heurts au stade de Port-Saïd lors d’un match Al Masry-Al Alhy.

Au-delà du profit que peut en tirer Al-Sissi, l’aspect sécuritaire reste préoccupant, aussi bien pour les autorités que pour les équipes qualifiées. En effet, si l’Egypte est une habituée des compétitions sur son sol, c’est la première fois qu’elle accueille un tournoi majeur depuis la révolution de 2011 qui a mis fin au régime du président Hosni Moubarak et plongé le pays dans une instabilité sécuritaire. Les autorités égyptiennes ont certes multiplié les déclarations rassurantes, mais les esprits seront toujours hantés, car l’Egypte est également confrontée à des groupes extrémistes dont les attaques ont tué des centaines de Forces de défense et de sécurité (FDS), mais aussi des civils, notamment des chrétiens coptes et des touristes étrangers. En février 2018, les forces de sécurité avaient lancé l’opération «Sinaï 2018» pour déloger le groupe djihadiste Etat islamique. En janvier 2019, dans un nouvel incident visant la communauté copte, un commandant de police a été tué au Caire en tentant de désamorcer une bombe près d’une église. 

Les touristes étrangers restent également une cible. En novembre 2015, un avion de ligne décollant du Sinaï avait explosé avec à son bord, 224 personnes. Quelques jours après, trois Vietnamiens et leur guide égyptien ont été tués près de la pyramide de Guizeh.

L’Egypte est, et ce n’est un secret pour personne, dans une dictature constitutionnelle. La révision constitutionnelle permettant la prolongation de la présidence d’Abdel Fattah Al-Sissi et renforçant les pouvoirs de l’ex-maréchal accusé de graves violations des droits humains en Egypte, a été approuvée par référendum le 23 avril 2019. Dans l’Egypte d’Al-Sissi, modifier les textes est aisé : l’opposition a été laminée, les médias mis au pas, la société civile étouffée.

Les amendements votés par les députés prévoient un allongement de la durée du mandat présidentiel à six ans (au lieu de quatre). Celui-ci reste renouvelable une seule fois, mais avec une remise à zéro des compteurs pour Abdel Fattah Al-Sissi, qui pourrait donc rester à la tête du pays jusqu’en 2030. Outre cette disposition, qualifiée de «coup d’Etat institutionnel», les modifications de la Constitution renforcent le rôle de l’armée et rognent l’indépendance de la justice.

C’est sur cette terre des pharaons  que la CAF convie sans coup férir, la jeunesse africaine pour le couronnement du roi du continent, piétinant ainsi, les valeurs prônées par le sport.

S’il n’est pas exclu qu’Al-Sissi tire un large profit (surtout si les Pharaons parviennent au sacre) de cette CAN pour redorer son blason, le sort du tombeur d’Issa Ayatou reste problématique, avec la nomination de la Sénégalaise Fatma Samoura, au poste de «déléguée-générale de la FIFA pour l’Afrique». Pendant une période de 6 mois, elle aura pour mission d’«évaluer la situation actuelle au sein de la Confédération africaine de football». «On ne va pas se cacher, on va assumer et prendre nos responsabilités», laissait entendre le président de la FIFA. C’est dire qu’autant pour Ahmad Ahamd, enivré par l’orgasme du pouvoir, que pour Al-Sissi qui règne dans un pays où quelques 60 000 prisonniers politiques sont aujourd’hui recensés par les organisations de défense des droits de l’homme, les eaux du Nil s’assécheront inexorablement. Tôt ou tard, le Nil tarira pour dévoiler la face hideuse de ces deux requins. En attendant, place aux rebonds du cuir pour nous faire rêver un mois pour oublier odeur de scandale et phobie sécuritaire.

Hamed JUNIOR

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