C’est dit, c’est écrit, c’est condamné ! Deux ans de prison avec sursis et dont un an de geôle ferme ! Les juges du tribunal d’instance de Mbour ont fait tonner le maillet. Ils ont suivi les réquisitions du procureur. Les pères qui ont encouragé puis poussé la bancale embarcation de leurs enfants, dont le jeune Doudou Faye, au large du Sénégal en direction de l’Espagne, en caressant l’espoir d’une hypothétique réussite financière de leurs rejetons, sont ainsi sanctionnés pour «mise en danger de la vie d’autrui». Mise en danger qui a coûté la vie à l’adolescent Doudou, qui s’éteindra sans jamais illuminer son rêve de devenir footballeur international, à l’image d’un Samuel Eto’o ou d’un Sadio Mané.
Oui, ils sont condamnables ses parents négligents qui n’ont peut-être que pensé à leur propre bien-être en jetant ainsi aux crocs cruels et impitoyables de l’Atlantique. Ils devraient être ceux qui conseillent à leurs enfants que l’eldorado se trouve à leurs pieds et que de la terre du Sénégal, ils pouvaient en faire de l’or pour leur propre bonheur et pour la joie de leurs proches.
De l’or qu’ils peuvent utiliser pour embarquer sur le train de luxuriante vie dakaroise où les billets sont dépensés à flot, les vêtements et tissus de luxe sont payés pour habiller de ravissantes gazelles à la peau d’Ebène et de belles maisons sont érigées sur la tête pleine de bénédictions et de reconnaissance des géniteurs. Eux comme toute la tribu, les oncles, les tantes, les cousins qui ont poussé ce gamin de 14 ans à aller finir dans la grande nécropole qu’est devenue la Méditerranée. Devraient passer aussi dans le box, tous ces charlatans, vendeurs d’illusions et de poudre de perlimpinpin, qui prédisent toujours un avenir radieux à ces candidats au péril européen.
Ceci semble toutefois écrit dans les contes de marabout et dans les beaux livres des politiques publiques qui vantent et vendent le «Sénégal émergent». L’implacable réalité est tout autre sous la lumière crue dans les rues du Sénégal. La terre du Sénégal ne se transforme pas si facilement en or. Le chômage et la jeunesse s’étrennent dans une quotidienne lutte où le premier remporte presque trop facilement le duel, humiliant la seconde, qui, les yeux hagards, ne sait plus à quel saint se vouer.
Ce triste tableau n’est pas que celui du Sénégal. Le procès de Mbour n’est pas que celui des «pères» du jeune Doudou Faye. C’est le jugement de tous ces parents africains qui regardent volontairement ou involontairement le fruit de leurs entrailles se lancer à l’assaut des monstres aquatiques de la mer pour ensuite abattre, s’ils survivent, des travaux devant lesquels le dieu Hercule lui-même pourrait trouver à rechigner.
Certes, le gouvernement sénégalais veut lutter contre les départs massifs vers l’hypothétique eldorado. Cela, non seulement pour un intérêt national mais aussi pour respecter des engagements pris vis-à-vis de ses partenaires internationaux. Mais ce n’est certainement pas en s’attaquant cette fois-ci aux familles directement qu’il a de fortes chances de réussir ce pari.
Le combat, assurément, est à plusieurs niveaux.
La communauté sénégalaise qui condamne les «pères» de Doudou Faye doit commencer elle-même à se mirer dans la glace de sa conscience afin de dépoussiérer certaines paroles incitatives qu’elle murmure à l’oreille de ses rejetons. De l’ordre de celles-ci figurent les comparaisons avec les exemples de réussite de certains Sénégalais allés en Europe et la diminution du barème qui jauge le succès.
Les autorités sénégalaises doivent davantage creuser dans leurs méninges pour trouver actes, politiques, initiatives qui détourneront les yeux rêveurs des jeunes Sénégalais de cet hypnotique phare qui brille au loin, surplombant la dangereuse ligne d’horizon de l’Océan. Car, évidemment, ce n’est pas en cassant la pirogue de l’aventure qu’elles feront baisser la houle de l’immigration, mais bien en faisant diminuer le régime du vent du chômage et de toutes ces désillusions qui souffle et soulève les vagues qui noient et flétrissent la fine fleur du Sénégal et de l’Afrique, à l’image de la douloureuse perte de l’innocent et rêveur Doudou Faye…
Condamner les «pères » de Doudou et Cie, pour l’exemple constitue à bien des égards un contre-exemple. Car pas seuls coupables ! Et l’Etat et les dirigeants dans tout ça ? Peuvent-ils s’en laver les mains ?
Ahmed BAMBARA
COMMENTAIRES