Covid-19 : En «chômage», les travailleuses du sexe de Dédougou crient famine

Covid-19 : En «chômage», les travailleuses du sexe de Dédougou crient famine

A l’instar d’autres couches sociales, les travailleuses du sexe de la cité de Bankuy ne savent plus à quel saint se vouer. La maladie à coronavirus a astreint bon nombre d’entre elles soit au chômage ou à un service minimum. Toutes ou presque crient famine. Une immersion d’une demi-heure sur deux sites a permis de percer le mystère des effets de cette activité liée aux maquis et aux noctambules en cette période de Covid-19. C’était le 17 avril 2020.

Assise sur un tabouret à son lieu de travail sis au secteur n°6 de Dédougou, Aïcha, une travailleuse du sexe,  a l’air très pensif en cette fin de matinée du 17 avril 2020. Dans une-mini robe sur une petite culote, elle accueille les visiteurs avec un large sourire. Avant tout propos, Aïcha s’empresse de demander si vous venez pour le «travail». Notre réponse négative a fait apparaître le masque sur le visage de la jeune fille. Entre deux soupires, elle lâche que son espoir s’est envolé.

En chômage forcé depuis quelques semaines, la professionnelle de sexe accepte néanmoins l’entretien. Elle prévient cependant qu’elle aura une oreille évasive, parce que le plaisir éphémère et le billet de banque lui feront défaut. De même, elle dit s’opposer à tout enregistrement et toute prise de vue. Aïcha est encouragée par ses collègues qui ont fini par prendre part à l’entretien. Qui en français, anglais, mooré ou dioula, a donné sa grille de lecture de la situation de la pandémie du Covid-19.

Mieux, chacune a dévoilé son secret de la pratique de l’activité et expliqué la souffrance qu’elle endure face au chômage imposé à elle par la maladie à coronavirus. Trémolos dans la gorge, Aïcha a d’emblée lancé que «nous souffrons énormément. Nous n’avons pas à manger. Nous éprouvons des difficultés pour payer nos loyers». Agée de 26 ans, notre interlocutrice affirme avoir le niveau de la classe de 4e des lycées et collèges.

De ses dires, aucun membre de sa famille n’est informé de l’activité qu’elle mène depuis bientôt une dizaine d’années.  Loin de ses parents qui sont à Ouaga, elle séjourne en moyenne pendant deux ans dans une ville avant de rallier une autre pour la même activité. «Lorsque je rentre avec un client, je dis «Wendé, song ma. Dieu aidez-moi, ce n’est pas ma faute, c’est une obligation pour moi», a confessé  Aïcha. Puis d’ajouter que si elle avait les moyens, jamais elle ne vendrait son charme.

A l’en croire, sa prière de tous les jours est que Dieu l’aide à abandonner le plus vieux métier du monde. Nonobstant, Aïcha affirme que le métier rapportait gros avant l’insurrection. «Avant le départ de Blaise Compaoré du pouvoir, ça marchait bien. Ma recette quotidienne variait entre 40 000 et 50 000 F. Je gagnais plus d’un million de F CFA mensuellement. Mais depuis que le «mogo» est parti, ça ne marche pas bien. Coronavirus est venu tout gâter. Le jour que je gagne un seul client, je dis gloire à Dieu.

Nous avons faim et personne ne vient à notre secours». Alice Kaboré renchérit qu’elle n’a que trois mois d’expérience dans le métier. Elle explique qu’avant la pandémie, elle pouvait avoir entre 20 000 et 35 000 F par jour. Mais depuis la survenue de la maladie, la mise en quarantaine de la ville, l’instauration du couvre-feu, les clients se font très rares. «Même les plus fidèles ne viennent plus», dit-elle avec insistance. «Si fait que je suis obligée de faire appel à des parents, amis ou connaissances pour m’envoyer de l’argent.

L’instinct de survie nous amène à recevoir un client «égaré». Si un client se présente, je suis obligé de l’accepter. Parce que je dois payer le loyer et me nourrir». A l’écouter, les rares clients arrivent entre 17h et 18h. A en juger les propos des unes et des autres, la maladie à coronavirus a donné bien du tourment aux travailleuses du sexe de la cité de Bankuy. Leur activité a considérablement fait relâche depuis l’annonce des premiers cas confirmés de la maladie, le 21 mars 2020.

Ces filles vivent désormais la peur au ventre, redoutant les conséquences  de cette crise sanitaire. La psychose s’est accentuée avec la mise en quarantaine de la ville, l’instauration du couvre-feu et la suspension du transport inter urbain. Toutes ou presque crient famine.

Selon Mimi, gestionnaire des chambres du site qui jouxte le bois sacré du secteur n°1 de Dédougou, la situation est catastrophique. Elle déclare avoir demandé aux filles qui sont toutes de nationalité étrangère, de suspendre toute activité liée au sexe. «Et comme elles doivent manger, j’ai fait des provisions en besoin alimentaire à savoir du riz, de l’huile, des  spaghettis et du concentré de tomate. Chacune des 32 filles du site a été servie. Mimi affirme également que la location des chambres varie entre 1 250 et 1 500 F par jour. Et comme les filles sont au chômage, point de recettes».

Des laissées-pour-compte ?

A l’en croire, les travailleuses du sexe de Dédougou sont des laissées-pour-compte. Aucune autorité encore moins un bienfaiteur n’a daigné faire un geste caritative à l’endroit des filles. «Personne n’est venue nous dire comment s’y prendre pour éviter d’être contaminée. A fortiori, nous apporter de quoi manger. Les travailleuses du sexe sont aussi des enfants d’autrui. Nous avons vu que des prisonniers ont bénéficié de remise de peine. Des vivres sont distribués également à des populations. Pourquoi rien n’est fait à l’endroit des filles ? Sommes-nous hors de la société? S’est offusquée la gestionnaire des chambres, elle-même ancienne travailleuse de sexe.

Des propos confirmés par une des filles qui se fait appeler boum-boum.  «Si ce n’est pas elle, nous allons mourir de faim. Une aide d’où qu’elle vienne peut toujours contribuer à atténuer l’impact social de la pandémie. Orpheline dès l’âge de 2 ans, boum-boum est aujourd’hui âgée de 27 ans. Elle a quitté son pays natal et exerce l’activité depuis 7 ans maintenant au Burkina Faso. De Ouaga à Dédougou en passant par Ouahigouya et Koudougou, boum-boum déclare donner régulièrement sa position à sa famille. Grâce à ses revenus, elle prend en charge la scolarisation de ses frères et sœurs restés au pays.

Mieux, elle affirme s’être achetée une parcelle qui est actuellement en construction dans son pays», Habillée dans un maillot des Etalons, boum-boum lance haut et fort qu’elle est fière d’être au Burkina Faso. Elle rêve de se marier à un fils du pays des hommes intègres. Sur les deux sites, les mesures-barrières sont foulées au pied. Pas de port de masques, aucun dispositif de lave-mains n’est visible.

La distanciation sociale n’est aucunement respectée. Pire, certaines sont collées serrées et boivent dans le même verre. Convaincues qu’il n’y a pas de médaille sans revers, Aïcha, Mimi, boum-boum et Alice sont optimistes. Elles disent être convaincues que le bout du tunnel est pour bientôt. «Nous allons bientôt nous livrer à cœur joie. Nous reprendrons très prochainement notre activité en plein régime. Les garçons viendront faire des rappels. Préparez-vous si coronavirus fini, nous allons faire promo», a lâché d’un ton humoristique Alima Zabsonré qui jusque-là était restée muette.

Serge COULIBALY

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