Il est parmi ceux qui ont amené la mode à créer une jonction entre l’indéchiffrable et inaccessible de la couture haut de gamme et le prêt-à-porter de la classe populaire. Et pourtant dès les années 50, au cours desquelles il a commencé à déployer sa vision futuriste de l’art vestimentaire, nul ne pouvait lui prédire ce destin hors norme, sauf peut-être un Chrishan Din chez qui il a fait ses armes.
Certes, à ses débuts, son envie de «mélanger les genres» a fait grincer des dents et des ciseaux. Mais Pierre Cardin a réussi à faire comprendre à ses contemporains que l’art vestimentaire doit aussi avoir un langage compréhensible et accessible pour le commun des mortels. Ce qui a sans doute assis sa renommée et aussi sa fortune. S’il estime lui-même l’empire qu’il a bâti à un milliard d’euros, les banques l’ont évalué à un niveau plus bas, mais tout de même énorme : 200 millions d’euros.
C’est donc cet héritage qu’il laisse au monde après y avoir roulé sa bosse pendant presqu’un siècle. Près d’une centaine d’années qu’il a marquées de son sceau, de son bouillonnement d’idées et de ses créations qui font date. Paris, Rome, Londres, Tokyo, New-York, peu de capitales ne voient pas leurs rues où trône une boutique de ce dandy de la mode, jusqu’en Afrique où l’exhalaison de ses parfums, embaume grands évènements et soirées de pince-fesse. Les grandes villes africaines ont adopté ce qu’il est convenu d’appeler un mode de vie, en matière de costume, mais surtout d’odeur : les Channel, Bleu, Sport, Blanc … inondent les rayons et embaument les bureaux africains. De la fameuse «robe bulle» qui a fait sa renommée aux actuels articles qui slaloment entre étoffes de modèles et fragrances de parfum dont les effluves arrivent jusqu’aux rives du continent africain, sans compter son esprit affûté pour les affaires qui l’a fait grimper sur le gratifiant navire des licences dans une centaine de pays, Pierre Cardin a placé son nom auprès de ceux qui ont écrit les plus belles plages de l’histoire de la mode. Avec Paco Rabanne, il fait partie des génies de la mode futuriste des années 60.
La disparition de Pierre Cardin vient jeter un voile noir de plus sur la scène du monde de la mode. Celui-ci a été récemment et régulièrement frappé par la Grande faucheuse. Une sinistre formule pourrait dire que la mort fait sa mode dans les couloirs de la mode. Le départ définitif le 19 février 2019 de Karl Lagerfeld, de la célèbre maison «Chanel», derrière les sombres rideaux du néant, ou encore la fin du virevoltant et joyeux Kenzo Takada, emporté par le coup de massue de l’impitoyable faucheur de célébrités, le coronavirus, ont créé des séismes. Mais l’onde de choc restera sans doute moins marquant que leur apport à l’épanouissement et au ravissement de l’humanité. L’esthétique cardine avait pignon sur rue africaine, même si ici aussi, c’est une classe bourgeoise qui l’a adoptée. Une étoile, une star a cessé de briller et on ne peut que dire: Salut l’artiste !
Ahmed BAMBARA
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