Dr Habibata Cissé : «Le tabac, premier grand pourvoyeur de crise cardiaque»

Dr Habibata Cissé : «Le tabac, premier grand pourvoyeur de crise cardiaque»

La crise cardiaque ou Infractus du myocarde (IDM) est une urgence médicale due à la destruction plus ou moins étendue du muscle du cœur. Au Burkina Faso, elle a une fréquence de 19%. Parmi les cas diagnostiqués, ¼ survient chez des sujets jeunes (moins de 50 ans) du fait du tabagisme. Selon Dr Habibata Cissé, cardiologue en poste à la clinique Esperanza, par ailleurs directrice de la structure, cette maladie se manifeste principalement par une douleur à la poitrine. Dans les lignes qui suivent, elle aborde entre autres les facteurs de risque, les complications, les traitements disponibles et  les difficultés liées à la prise en charge des patients. Lisez donc !

 

Qu’est-ce qu’une crise cardiaque et comment se manifeste-t-elle?

Une crise cardiaque est une urgence médicale qui est due à la destruction plus ou moins étendue du muscle du cœur. En général, elle  survient lorsque la circulation sanguine est interrompue dans une ou plusieurs artères coronaires (les artères qui alimentent le cœur). Cette obstruction va entrainer un manque d’apport de sang et d’oxygène au niveau des cellules du cœur,  qui vont progressivement mourir si l’obstacle n’est pas rapidement levé.

Une crise cardiaque se manifeste sous plusieurs formes mais la principale manifestation, c’est la douleur au niveau de la poitrine. C’est une douleur qui est souvent à types de gêne, de picotement, de brûlure ou d’oppression thoracique qui va irradier vers la mâchoire, les épaules et les bras. C’est la manifestation typique et cette douleur qui va persister pendant plus de 20 minutes. Souvent, elle ne cède pas à la prise des anti- douleurs habituels. Chez certaines personnes, la crise cardiaque peut se manifester par des douleurs au ventre accompagnées de sueur, de vomissements, de nausées. D’autres aussi peuvent présenter un étourdissement voire une perte de connaissance et même une mort subite de quelqu’un qui se portait parfaitement bien.

Quels peuvent être ses facteurs de risque ?

Ce sont des habitudes de vie ou des affections qui vont faciliter la formation d’athéromes (dépôts de cholestérol) au sein des parois des vaisseaux du cœur. Nous pouvons classer les facteurs de risque en deux groupes.

Le premier groupe est celui des facteurs non acquis, non modifiables, c’est à dire ce qu’on ne peut pas contrôler. Il s’agit de l’âge, le sexe et l’hérédité.

D’abord, par rapport à l’âge, on constate que la survenue fréquente de la crise cardiaque chez l’homme commence après 50 ans et chez la femme après 60 ans.

Ensuite, le sexe masculin constitue un risque. Ainsi, il y a plus d’hommes qui font une crise cardiaque que de femmes.

Enfin, l’hérédité est le troisième facteur non acquis car des études ont montré que dans une famille l’individu de sexe masculin a plus de risques de faire une crise cardiaque lorsque le père, l’oncle ou le frère du premier degré a déjà fait une crise cardiaque ou une mort subite avant l’âge de 55 ans. Et chez les femmes lorsque cela arrive avant 65 ans chez la mère ou un parent du 1er degré de sexe féminin.

Dans le deuxième groupe de facteurs se trouve les facteurs acquis, modifiables. Nous praticiens, nous insistons sur ces facteurs du fait de leur réversibilité. Ce sont des facteurs qui peuvent être modifiés, atténués voire guéris chez nos patients par un changement de comportements, d’habitudes ou des médicaments pour éviter la survenue d’une crise cardiaque.

Ce sont :

Le tabagisme (tabac, cigarette électrique ou non, chicha…) : c’est le plus grand pourvoyeur de crise cardiaque. Même quand on arrête de fumer il faut au moins trois ans pour que les risques de faire une crise cardiaque soient l’équivalent d’une personne qui n’a jamais fumé. Les fumeurs sont deux fois plus susceptibles de subir une crise cardiaque ou un AVC, et même d’en mourir.

L’Hypertension artérielle (HTA) est aussi un facteur fréquent qui, malheureusement, n’est pas suffisamment diagnostiquée dans notre pays du fait que les gens n’ont pas le réflexe de contrôler leur tension artérielle de temps en temps. Il y a aussi le diabète (augmentation anormale du taux de sucre dans le sang), l’hypercholestérolémie (augmentation des graisses circulant dans le sang), le manque d’activité physique, le stress chronique, le surpoids et l’obésité.

Comment diagnostiquer  une crise cardiaque ?

La crise cardiaque est d’abord diagnostiquée par les signes d’appel cités plus haut. Par conséquent, une personne qui se plaint de douleurs à la poitrine doit rapidement se rendre dans un centre de santé pour pouvoir bénéficier des différents examens qui vont confirmer la maladie et avoir un traitement le plus tôt possible. S’agissant des examens, il y a l’électrocardiogramme qui va nous donner des signes montrant qu’il y a des parties du cœur qui manquent d’oxygène (des signes d’ischémie). Selon la disponibilité du plateau technique, on effectuera aussi une échographie cardiaque et des examens biologiques qui vont confirmer le diagnostic et la gravité de la crise cardiaque.

Que faut-il faire pendant une crise cardiaque ?

Dès qu’on sent une douleur à la poitrine ou au ventre qui persiste malgré la prise d’un médicament antidouleur habituel, il faut se rendre très vite dans un service d’urgence pour une consultation ou à défaut, appeler des secours. Si la crise se produit sur un lieu de travail ou pendant un effort, il est recommandé d’arrêter tout effort physique, de s’allonger ou se mettre dans une position où on se sent le plus à l’aise et rester calme en attendant l’arrivée de secours. Une fois à l’hôpital, la douleur sera calmée et grâce aux examens, le diagnostic de la crise cardiaque sera confirmé.

Le pronostic et les moyens de prise en charge du patient dépendront du délai entre le début des symptômes et l’arrivée du patient à l’hôpital : le délai idéal doit être dans les trois premières heures après le début de la douleur. Dans ce cas, le malade pourra bénéficier de médicaments qui pourront faire fondre totalement ou partiellement le caillot qui bouche l’artère du cœur.

Malheureusement, en pratique au Burkina Faso, dans la majorité des cas, nous voyons les patients bien après les six premières heures. Dans ces cas, nous utilisons d’autres moyens par voies orale et injectable mais qui n’ont pas l’effet escompté comme les premiers.  Ces médicaments vont permettre d’arrêter les douleurs, d’empêcher la survenue de complications et de maitriser les facteurs de risque comme l’hypertension artérielle, le diabète, l’hypercholestérolémie.

Quel est le taux de crise cardiaque au Burkina Faso ?

Les études dont nous disposons ont été effectuées dans des centres hospitaliers et le taux de crise cardiaque tourne autour de 19% au Burkina Faso. Parmi les cas diagnostiqués, il y a ¼ qui survient  chez des sujets jeunes (moins de 50 ans) du fait du tabagisme. D’où la nécessité d’accentuer les campagnes de lutte et de sensibilisation sur les dangers du tabac.

Quelles peuvent être les complications possibles d’une crise cardiaque ?

Les complications sont classées en deux groupes :

 Les complications immédiates ou aigües. Elles surviennent dans les 48 premières heures de la crise cardiaque. Ce sont la mort subite, les troubles du rythme cardiaque et de la conduction, l’insuffisance cardiaque aigüe, la rupture du myocarde, la formation d’un caillot à l’intérieur du cœur et qui va migrer pour entrainer l’obstruction de vaisseaux localisés dans d’autres organes (cerveau, reins, yeux, membres), la péricardite (inflammation avec accumulation de liquide dans l’enveloppe du cœur).

Les complications tardives (qui peuvent survenir après 48 heures). Nous avons l’angor post-infractus du myocarde (c’est la récidive de douleur à l’effort le plus souvent), la péricardite, l’anévrisme du cœur gauche (c’est la formation d’une poche sur une partie de la paroi du cœur gauche).

Comment éviter une crise cardiaque ? Y a-t-il des aliments à consommer ou à ne pas consommer?

On peut éviter une crise cardiaque en jouant sur les facteurs de risque non acquis que nous avons énuméré ci-dessus. Nous conseillons aux fumeurs d’arrêter et aux non-fumeurs de ne jamais fumer car c’est un facteur qui multiplie par 4 le taux de survenue de crise cardiaque. Il y a aussi certaines habitudes alimentaires qu’il faut changer. On peut réduire la consommation des graisses d’origine animale, éviter certains modes de cuisson des aliments (les fritures qui apportent beaucoup de matière grasse à l’organisme), réduire la consommation de sel, de sucre alimentaire. Par contre, nous conseillons d’augmenter la consommation de fruits, de légumes, de produits céréaliers complets. Pour les patients qui présentent déjà des maladies cardio-vasculaires telles que le diabète, l’hypertension artérielle, l’hypercholestérolémie, nous les conseillons de bien suivre le traitement prescrit par leurs médecins et de se faire suivre régulièrement pour s’assurer de l’efficacité des médicaments et aussi contrôler les éventuels effets indésirables de ces médicaments. Nous encourageons également la pratique d’activité physique régulière modérée (la marche, le vélo, la natation pendant au moins 30 minutes deux à trois fois par semaine). Avant toute reprise d’une activité sportive chez un adulte, nous conseillons une consultation préalable afin d’éliminer ou de corriger d’éventuelles contre-indication au sport.

Comment traiter une crise cardiaque ?

Le traitement va dépendre du tableau clinique. Ça devrait de préférence débuter au domicile ou au lieu où est survenue la crise d’où l’intérêt de développer un service de SAMU dans notre pays. Les moyens de traitement sont médicamenteux, interventionnels et chirurgicaux (moyens de revascularisation du cœur). Tous ces moyens ont pour but d’arrêter la douleur et de dissoudre le caillot qui se trouve à l’intérieur de l’artère chargée d’apporter le sang et l’oxygène au cœur. Au Burkina Faso, nous disposons seulement de médicaments par voie injectable et orale dont l’efficacité est très limitée.

Nous espérons que très prochainement nous pourrons avoir dans nos hôpitaux   les techniques de revascularisation afin de réduire le taux de complications de crise cardiaque.

Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez au quotidien dans la prise en charge de vos patients ?

Notre principale difficulté c’est la prise en charge tardive des patients du fait de la méconnaissance des signes de la crise cardiaque. En effet, le manque de moyens financiers des patients les amène à s’adresser d’abord aux tradipraticiens. Ces moyens financiers font aussi défaut au niveau des structures sanitaires qui n’arrivent pas à acquérir les moyens pour les techniques de revascularisation cardiaque.

Il y a non seulement un manque de disponibilité des médicaments dans nos hôpitaux et pharmacies, mais aussi lorsqu’ils sont disponibles, le prix n’est pas à la portée de tout le monde.

Nous ne disposons pas non plus d’un service de SAMU (transport médicalisé), ce qui augmente le taux de mortalité en péri-hospitalier des cas de crise cardiaque. Nous ne disposons pas aussi de défibrillateur externe dans beaucoup de lieux publics au Burkina et lorsqu’il existe, les gens ne sont pas formés à l’utilisation. Pourtant, cet appareil permet de sauver de nombreux patients victimes de crise cardiaque avec un trouble du rythme grave ou mort subite avant l’arrivée du secours médicalisé et leur prise en charge hospitalière .

Propos recueillis par Boureima SAWADOGO

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