Depuis le 29 octobre 2017, quand il a été arrêté à l’aéroport de Roissy jusqu’au 28 mars 2018, quand la date de la décision sur son sort a été fixée à aujourd’hui 13 juin 2018, en passant par les temps de suspense du 13 décembre 2017 et du 7 mars 2018, François Compaoré et la justice française ont su tenir le peuple burkinabè dans l’expectative.
Une lueur d’espoir a été allumée ce 29 octobre, faisant réverbération sur la flamme d’une certaine lampe à pétrole posée au centre de presse Norbert Zongo à Ouagadougou, depuis bientôt 20 ans. Sa chaleur irrigue la ferveur de celles et ceux qui luttent pour que la lumière éclaire les sombres couvertures qui ont assombri les arbres et ensanglanté la route de Sapouy, un certain 13 décembre 1998. Car cela fait 20 longues années, une éternité, que le journaliste d’investigation et 3 de ses compagnons d’infortune ont été victimes d’un innommable autodafé, à 140km au Centre-Ouest du Burkina.
La chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris va-t-elle trancher ce 13 juin (le chiffre 13 semble être l’apanage de cette affaire) pour l’extradition de François Compaoré ou décidera t-elle que le cadet de l’ex n° 1 du Burkina n’est pas extradable ? Certes, les discours prononcés, çà et là, ont tendance à condamner le frère de l’ancien président, avant son procès. Ce qui n’est pas légalement et juridiquement convenable, étant entendu que l’accusé reste présumé innocent jusqu’à ce que la sentence soit prononcée et soit revêtue du sceau de l’autorité de la chose jugée.
Cependant, le nom de François Compaoré est resté tellement mêlé à cette affaire, d’abord par les conclusions de la Commission d’enquête indépendante (CEI) mise sur pied, au lendemain de l’horrible assassinat, que la justice a voulu voir clair, mais a abouti à un second enterrement de première classe de Norbert Zongo : un non-lieu en 2006. Mais, pour la justice burkinabè les «six suspects sérieux», à savoir les Marcel Kafando, Edmond Koama, Wampasba Nacoulma Banagoulo Yaro, Christophe Kombasséré et Ousseni Yaro, tous disparus de nos jours sont liés à François par un fil rouge, et une certaine opinion publique n’a toujours pas digéré que l’ex-conseiller spécial de Blaise n’ait même pas comparu un seul jour dans le box des accusés. Et voilà la Transition est venue relancer le dossier judiciairement.
Qu’il soit entendu et confronté aux nouveaux éléments de preuves qui ont conduit à rouvrir le dossier, pourra définitivement situer tout le monde et l’Histoire sur son rôle dans la mort du journaliste qui, il faut le rappeler, enquêtait sur le décès suspect de David Ouédraogo, chauffeur de François Compaoré, lorsqu’il a de façon inhumaine, rencontré la route de la grande Faucheuse par la main meurtrière des tueurs qui ont été lancés à ses trousses sur la route de Sapouy.
Les regards sont donc, à nouveau tournés vers la Seine, vers les juges de la Cour d’appel de Paris. Du côté de Ouagadougou, on attend. Mais des ponts semblent avoir été aménagés pour faciliter le passage d’une éventuelle décision judiciaire favorable à l’extradition du «petit président». Il ya eu d’abord le bout de phrase d’Emmanuel Macron à Ouaga le 28 novembre 2017 sur le sujet puis, entre le 7 mars et le 13 juin 2018, une convention de collaboration en matière judiciaire a été signée entre la France et le Burkina. De même, la peine de mort a été extirpée du Code pénal burkinabè, pressentie comme étant l’un des freins qui pourrait jeter de l’eau froide sur les ardeurs des juges français, à «livrer» François Compaoré à la Justice burkinabè. Il est vrai que la proximité de ces 2 évènements d’avec l’audience de la chambre d’appel de Paris de ce 13 juin 2018 est suspecte si fait que d’aucuns ont rapidement cru qu’on balisait le terrain pour ramener François Compaoré au Burkina Faso, ce qui n’est qu’extrapolation, car une chose, est d’avoir signé cette convention et aboli la peine de mort au Burkina, une autre est l’extradition de François car a priori, la justice française n’a pas vocation à suivre des arrangements juridico-politiques du Burkina. Elle se base sur des preuves.
Il reste donc entendu que les magistrats français vont prendre leur décision en leur âme et conscience, en ayant sans doute comme boussole, la volonté de voir une bonne administration de la Justice avec la garantie du respect des droits de l’accusé. Après donc les analyses et les supputations, la seule option qui reste est l’attente. Celle de savoir si, à quelques jets de la commémoration des 20 ans de l’assassinat de Norbert Zongo et de ses trois compagnons, la Justice française verra en François Compaoré, un justiciable extradable ou pas vers son propre pays.
Ahmed BAMBARA
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