Ils ont démissionné Bouteflika en Algérie : Le plus dur reste la «débouteflikisation»

Ils ont démissionné Bouteflika en Algérie : Le plus dur reste la «débouteflikisation»

Avril 1999-Avril 2019. Abdelaziz Bouteflika aurait certainement rêvé d’un meilleur anniversaire pour ses 20 ans de règne. Mais son peuple en a décidé autrement. Un peuple qui vient d’entrer dans l’Histoire. Et comme les dates se coïncident souvent de façon fortuite : c’est en avril 1999, qu’il fut porté à la tête de l’Algérie et c’est ce 2 avril 2019, exactement 20 ans après qu’il quitte ce pouvoir, dans lequel il est tombé dès sa tendre jeunesse.

En effet, de Ben Bella dont il fut le ministre de la jeunesse et du tourisme à 25 ans jusqu’à  cette démission, en passant par le prestigieux poste des affaires étrangères, la vie de Bouteflika se mêle à celle de l’Algérie de ces 60 dernières années.

Une page d’histoire qu’il a écrite à sa manière. Avec ses méthodes. A nulles autres pareilles. Une dextérité, une maestria, une maturité qui détrônent et rendent décrépites toutes les tactiques le plus souvent ensanglantées et habillées de violences qui avaient recettes jusque-là. Il a beau avoir été un maquisard, un moudjahidin à l’âge de 19 ans, il a beau été au cœur de l’indépendance de l’Algérie, et le pacificateur du pays après la décennie de plomb des années 90, après la victoire du FIS, il a beau avoir régenté l’Algérie d’une main de fer durant 20 ans, il est des moments où le héros est fatigué, où il jette les armes et se rend.

Ce 2 avril, Abdelaziz Bouteflika, qui est de cette race là, a finalement choisi de partir plutôt que prévu, sous les coups de boutoir des rues algériennes qui ne voulaient ni d’un 5e mandat, rien du tout sauf sa démission et celui de tout le système qu’il a secrété.

Envolé, son vœu de choisir d’ici le 28 avril, le jour de rendre le tablier, la rue n’en a cure d’une des dernières lubies, sinon l’une des ultimes ruses, d’un vieux dirigeant fatigué et perclus par la maladie.

Pas d’infortuné immolé par le feu. Pas de scènes de policiers tabassant à mort des manifestants aux bras nus. Pas de mots haineux. Pas de haine. Pas de brutalité. Avec finesse et bravoure, le peuple algérien vient de contraindre un Chef d’Etat, jusque-là considéré comme indéboulonnable, à rendre le tablier. A démissionner. A quitter ce fauteuil présidentiel, transformé par la force des choses et par l’argument de la force, en fauteuil roulant où s’est avachi l’ombre d’un Chef d’Etat grabataire et rongé par la maladie. Celui que certains nomment «The little big man» aura connu, un parcours sinusoïdal fait de hauts et bas, notamment, une ascension et une descension, un destin exceptionnel qui aura encore dégagé une grande leçon de la vie politique que malheureusement hélas nombreux dirigeants n’apprennent jamais ou feint de l’ignorer : il faut savoir quitter le pouvoir, avant que le pouvoir vous quitte.

C’est donc fini ! Bouteflika croulant, Bouteflika le tout puissant. C’est désormais fini ! Il n’est plus président. Il l’a décidé. L’a-t-il vraiment décidé ? Est-il réellement en possession de ses moyens aujourd’hui pour décider quoi que ce soit ? Si ce n’est le joug de la maladie, ce sont les coups de semonce venus de la rue qui ne lui donnaient vraiment plus le choix de faire des choix et de prendre de décision. Fini donc les « mesures importantes » avant la démission. Reléguée aux oubliettes la transition que Bouteflika ou son clan avait imaginée. Mais en est-il fini pour autant du système ?

L’Algérie n’a pas fini d’étonner pendant ces six semaines. Un tableau ? C’est comme une cabine d’essayage d’un salon de vêtements. Le peuple algérien, assis, regarde la cabine. Les acteurs du système Bouteflika sortent chaque fois avec un nouvel habit. Ils se dandinent, virevoltent devant les scrutateurs, papillotent des yeux pour essayer de sourire.

Mais le verdict est toujours le même : non, pas bon ! C’est ce qui a accueilli l’annonce du président Bouteflika, ou du moins de ceux qui parlent désormais en son nom, de démissionner avant le 28 avril 2019. La mobilisation n’a pas faibli et l’appel à la démission immédiate a encore retenti.

Dans la tête des Algériens, les choses sont carrées. Ce ne sont pas les habits du salon de vêtements qui posent problème. Ce sont les personnes qui défilent devant eux le nœud gordien. Ils veulent simplement que ces personnes quittent la cabine d’essayage et que de nouvelles personnes y prennent place.

Le temps de la fête sera donc de courte durée dans les  rues d’Alger. Car après la démission de Bouteflika s’ouvre réellement le boulevard de la vraie épreuve de la maturité du peuple algérien. La plupart des peuples qui ont fait partir leur président, ont échoué à cet examen final : celui curer jusqu’aux traces de l’ancien système pour réinstaller la nation de leur rêve, le changement de leurs vœux.

A la joie de voir Bouteflika doit vite se succéder la concentration et la vigilance de l’instauration d’une transition véritablement restauratrice, afin de ne pas basculer dans les regrets de la désillusion. Car, la nature a horreur du vide. Et les regards de convoitise se dardent sur la place laissée vacante par le président démissionnaire, une place vacante certes, mais pas libre d’occupation. Les Algériens ont-ils pensé à la transition ? Quelle coloration veulent-ils donner à l’Algérie nouvelle de leurs rêves ?

Car l’Algérie n’a plus de capitaine à bord. Qui assurera-t-il l’intérim ? Abdelkader Bensalah, le président du Sénat, comme le prévoit la constitution en cas de démission ou d’empêchement ? Tayeb Belaiz au cas où le président se déclarerait incompétent ? Ou l’armée, avec un certain Gaïd Salah ? Dans tous ces cas, aucun des cas n’est étranger au régime Bouteflika. Et rien ne garantit que ce ne soit pas ces derniers qui, en réalité, tiraient les ficelles depuis tout ce temps et qu’ils ont peut-être rédigé la lettre de démission de Bouteflika.

A contrario, quel est cet oiseau rare, «imberbe» de la gouvernance du président démissionnaire, qui pourrait répondre aux appels au changement ? Boutef sorti, le plus difficile demeure, la déconstruction du système qu’il a érigé durant ces deux décennies.

Bouteflika n’était qu’un petit bout d’un «monstre» politique, qui dirigeait l’Algérie : les manifestants ont étêté ce monstre, en contraignant le vieil homme à s’en aller, mais, qu’en sera-t-il de tout le cartel qu’il cornaquait ?

Tout comme dans les années 80, il y eut la «déboumedienisation», avec Chadli Benjedid, avec Boutef out, il faudra renvoyer tout le sérail et ce sera un travail corsé, qui requiera plus que des marches, et des incantations.

Il faudra un homme décidé pour cette «débouteflikisation» risquée et forcement ingrate, un homme du peuple, qui devra avoir les mains libres pour agir vraiment. Mais est-on vraiment bien placé pour donner des leçons au peuple algérien ? Il a su bien se débrouiller tout seul jusque-là. Que l’Histoire continue donc sa ronde !

Ahmed BAMBARA

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