Tout est allé vite, très vite à Libreville. Et c’était méthodique comme le travail d’un bénédictin ! Comme lorsqu’un bucheron s’y prendrait pour terrasser un gigantesque arbre, sans lui laisser la moindre chance de revivre. D’abord, le menu fretin. Des directeurs généraux de grosses sociétés sont débarqués de leur poste. Presque en silence. Mine de rien. Ensuite, on s’approche du tronc principal, Brice Laccruche Alihanga.
Il est bouté hors de son fauteuil prestigieux et stratégique de directeur de cabinet du Chef de l’Etat. Pour donner l’impression que tout va bien, et que c’est un réaménagement stratégique, il est balancé dans un ministère expressément créé pour lui, mais qui sonne aussi creux que son nom : «chargé du Suivi de la stratégie des investissements humains et des objectifs de développement durable». Un strapontin haut placé pour mieux le laisser choir !
Puis, l’opération, qui couvait jusque-là dans le silence, prend un nom et qui n’augure jamais rien de bon pour ceux vers qui elle se dirige, dard au vent : «opération scorpion». Lesté de l’armure de la lutte anti-corruption et de l’enrichissement illicite, la machine des services judiciaires gabonais s’est mise en branle. Le dard du scorpion s’est mis à tournoyer à un rythme frénétique, ciblant méthodiquement tous les proches du Franco-gabonais, emportant son frère Gregory Laccruche Alihanga dans la foulée.
Et dans cette frénésie de nettoyage au venin aseptisant, le bras armé de la justice ne prenant souvent pas de gant et n’y regardant pas souvent trop près au respect du protocole. Si pour les autres proches ont eu le temps d’être délestés de leurs postes de responsabilités, ce ne fut par exemple pas le cas d’Ike Ngouoni, qui a été ‘’coffré’’ sans qu’on ait pris le temps de le décharger de ses fonctions de porte-parole de la présidence gabonaise et de conseiller politique du président Ali Bongo Ondimba. Celles-ci ont été simplement dissoutes après coup, dans le poison… purificateur de l’opération scorpion.
Ceci fait, le coup de grâce. La finale ! Un remaniement ministériel, habillé avec le corset de la lutte contre la corruption et du besoin de satisfaire la soif d’amélioration des conditions de vie des Gabonais, souffle tel une bourrasque dans la soirée du 2 décembre 2019 et balaie Brice Laccruche Alihanga et trois de ses fidèles lieutenants, installés à des postes stratégiques : Noël Mboumba désormais ex-ministre du Pétrole, Tony Ondo Mba et Roger Owono Mba qui cumulaient les ministères de l’Énergie, et de l’Économie et des Finances, sont à leur tour défenestrés.
Le lendemain, le principal concerné par ce ballet infernal est cueilli chez lui et conduit au ‘’gnouf’’. Et la boucle est bouclée. Ou peut-être pas. En tout cas la maison Alihanga s’écroule.
Mais qu’est-ce qui explique tout ceci ? On pourrait se contenter de la belle fable de la lutte contre la corruption et de la volonté d’Ali Bongo Ondimba d’assainir la gestion de la chose publique au Gabon. Toutefois, ce serait curieux que le président remercie de cette manière un homme qui a semblé pourtant avoir bien gardé la maison au moment où son AVC l’a fortement handicapé, le coupant totalement de la vie politique.
Brice Laccruche Alihanga s’est véritablement montré à la hauteur, menaçant les loups aux appétits voraces réveillés par la traversée invalidante du Grand Manitou et assurant les affaires courantes. Il s’est même permis une «tournée républicaine» dans tout le Gabon pour apporter le message d’Ali Bongo Ondimba pendant que celui-ci faisait son check up médical hors du pays et reprenait des forces à vive allure. Le fils de Omar Bongo semblait lui accorder une grande confiance, presque aveugle.
Alors, qu’est-ce qui n’a pas bien marché au point que le remerciement soit une descente aux enfers ? On aurait compris cette opération «anti-corruption» si elle avait des bras moins sélectifs dans le choix de ses cibles «corrompues» et si elle ne s’était pas justement acharné sur les proches d’Alihanga.
Brice Laccruche Alihanga aurait-il eu les envies d’Icare ? Se serait-il brûlé les ailes en volant trop haut et voulant atteindre des cimes qui lui étaient interdites ? Pensant que Bongo ne pourrait pas revenir de son AVC et qu’il resterait «un légume», aurait-il planifié de devenir calife à la place du calife ? En tout cas, il se murmure dans les couloirs et les rues de Gabon que Laccruche préparerait un coup d’Etat de palais. Le fait qu’il ait placé ses lieutenants dans des endroits stratégiquement bien placés ne milite pas en sa faveur.
Cependant, sur quel argument se basait-il vraiment pour mener à bien son dessein ? Se prenait-il vraiment, se mirant chaque matin devant sa glace murale, pour le successeur de la dynastie des Bongo ? Cette hypothèse a des points faibles, qui font plutôt penser à des acteurs beaucoup plus influents tapis dans l’ombre et qui attendaient vouloir profiter de l’infarctus d’Ali Bongo. Et ce ne sont vraiment pas les suspects qui manquent. Les nombreux membres de la fratrie du président Ali Bongo. Ses propres enfants qui peuvent se prendre des envies de faire sonner leur heure avant l’heure. Autant de probabilités qui ne laissent finalement Brice Laccruche Alihanga et compagnie que comme des pions qui ont utilisés mais qui, grillés, sont jetés en pâture…et en sacrifice.
La balle revient au centre. Et des questions demeurent. Ali Bongo est-il toujours le vrai maître du jeu au Gabon ? Ou est-il lui-même devenu un dé ? Ah, ce Bongoland et ses intrigues de palais !
Ahmed BAMBARA
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