Le 10 mai 2001, la «loi Taubira» était votée en France et promulguée le 21 mai. Elle consacrait ainsi la reconnaissance de l’esclavage comme un «crime contre l’humanité». Mais elle instaurait aussi la Journée nationale de commémoration de l’esclavage et des traites et de leur abolition. Ce n’est pas totalement que ce que Christiane Taubira et les supporters de ce projet de texte voulaient, mais ils n’ont pas voulu «jeter le bébé avec l’eau du bain». Si elle est mise dans la balance, un peu on dirait que c’est l’équivalent de la loi Viel sur l’IVG, même si …
A défaut d’amener la France à envisager d’indemniser les victimes des traites et de l’esclavage, au moins, elle reconnaissait que ces pratiques sont contre l’humanité et qu’elles ne devraient plus jamais effleurer l’esprit de la République, de ses citoyens ou de ses dirigeants.
La loi Taubira a eu le mérite de franchir les frontières de la France et de susciter une sorte de prise de conscience. Les Nations Unies ont également consacré l’esclavage comme crime contre l’humanité et même s’il faudra attendre jusqu’en 2020 pour voir le Parlement européen l’écrire dans le marbre des textes, c’est une réelle avancée contre l’une des pires ignominies que l’être humain a commises contre l’être humain.
Mais le combat de Taubira et des mouvements associatifs reste à parfaire et à continuer. Après avoir reconnu que c’était un crime contre l’humanité, il faudra maintenant aborder les conséquences de ce crime et mettre au centre des préoccupations, des projecteurs et des discours, les victimes et les descendants des victimes de ces atrocités et de ses pratiques dégradantes jamais commises par l’Homme sur l’Homme. Quelle réparation pour ceux dont les ancêtres ont souffert dans leur chair et dans leur dignité ? Qu’a-t-on prévu pour tous les descendants de ces Kunta Kinté, du héros de la série Racines de Alex Haley retracant l’itinéraire d’un esclave ? Que faire pour que l’évocation et la nécessaire remémoration de ces actes, actions, discours, comportements n’éveillent et ne réveillent pas des sentiments de révolte dans le cœur de ceux qui ont été marqués d’une manière ou d’une autre par ce sombre passage du cheminement de l’humanité ?
10 ans après, ce combat devra être repris là où il a été arrêté pour engranger d’autres résultats. Ceux actuels permettent en effet de semer des graines de dissuasion. Mais ce n’est pas suffisant. Vue d’Afrique, cette loi est à saluer, car pour moins que cela, on consacre le mot «génocide et crime contre l’humanité», alors qu’en l’espèce ce sont des millions de «nègres» qui ont quitté la porte du non-retour, pour les plantations de la Nouvelle Orléans et d’autres localités du Nouveau continent.
Du reste, hors des frontières de la France et de l’Europe, l’esclavage continue sournoisement de dérouler ses tentacules. Des pratiques dites coutumières et ancestrales restent ancrées de nos jours dans certaines régions du globe, humiliant des êtres humains, des hommes, des femmes et des enfants. D’abort à titre personnelle, la une du magazine de l’extrème droite Minute du 13 novembre 2013 tutoyait le canivau en traitant la ministre de la justice de «Guenon». Une attaque ad hominem à mettre dans le cadre des rebus esclavagistes. Le 13 novembre 2017, CNN exhumait sous les feux des caméras toute la laideur de 250 migrants subsahariens, empaquetés dans des centres, victimes de brimades, et d’humiliations, si ce n’est la mort.
Et encore, même dans la vie courante comme en Mauritanie, l’esclavage existe, pernicieuse et les Haratines ne diront pas le contraire, eux qui ont formé quasiment un parti politique anti-esclavagiste en 2008 avec le leader Biram Ould Dah Ould Abeid. Dans ce pays et bien d’autres, la croyance en une race supérieure a la vie dure. Des communautés sur la planète continuent de croire qu’elles sont supérieures à d’autres communautés et que celles-ci sont condamnées, par la naissance, à rester leurs «esclaves». Quelle loi leur fera comprendre que les «Hommes naissent libres et égaux» ? Et surtout, l’accepter ?
Ahmed BAMBARA
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