De nos jours, le téléphone portable occupe une place importante dans le quotidien de bon nombre d’utilisateurs à tel point que beaucoup ont du mal à s’en passer. Pourtant, une utilisation excessive du smartphone peut entrainer des Troubles musculo-squelettiques (TMS) notamment des douleurs aux poignets et au cou. Selon une étude menée du 2 novembre au 31 décembre 2022 à l’université Joseph Ki-Zerbo et conduite par le Pr agrégé Wendlassida Joëlle Stéphanie Zabsonré/Tiendrébéogo, sur 768 étudiants enquêtés, 81% avaient une cervicalgie c’est-à-dire une douleur du cou par l’usage plus que de raison du smartphone, ce qui veut dire que la cervicalgie est très fréquente en l’espèce. Dans cet entretien qu’elle nous a accordé, la rhumatologue en poste au Centre hospitalier universitaire de Bogodogo (CHU-B) revient de long en large sur les motivations et le déroulement de cette étude.
Qu’entend-t-on par troubles musculo-squelettiques ?
On entend par troubles musculosquelettiques en abrégé TMS, l’ensemble des symptômes en rapport avec une atteinte inflammatoire ou dégénérative de l’appareil locomoteur c’est-à-dire les articulations, les muscles, les tendons, les ligaments, les os. Il s’agit d’une notion large qui regroupe plusieurs affections.
Quels sont les facteurs favorisants les TMS ?
Les TMS ont une forte composante professionnelle ou socioprofessionnelle. Les facteurs favorisants les TMS sont d’origine multifactorielle et peuvent être regroupés d’abord en facteurs biomécaniques c’est à dire les activités répétées ou les efforts extrêmes par exemple. Il y a également les facteurs organisationnels en rapport parfois avec une durée de travail excessive ou un manque de pause. Aussi, il y a des facteurs psychosociaux, responsables d’un stress important en milieu de travail. Et pour terminer, les facteurs individuels en rapport même avec les antécédents médicaux du patient.
Vous avez eu à mener une étude sur les troubles musculo-squelettiques suite à l’utilisation du smartphone. Quelles ont été vos motivations ?
Nous nous sommes surtout intéressés aux cervicalgies chez les étudiants utilisateurs de smartphone. Il faut dire que le rôle du téléphone portable, dans notre société, a considérablement évolué. Il a pris une telle place dans notre vie quotidienne que beaucoup d’utilisateurs ont du mal à s’en passer. On sait pourtant qu’une utilisation excessive du smartphone pourrait entrainer des Troubles musculo-squelettiques (TMS) tels que des douleurs aux poignets et au cou. L’avènement des réseaux sociaux (WhatsApp, Facebook, Twitter, Telegram, Tik Tok, Instagram, …) semble accentuer le temps qu’un utilisateur passe sur son smartphone, si bien que de nos jours on parle d’addiction aux smartphones. Au nombre des diverses raisons qui attirent les jeunes sur les médias sociaux se trouvent le désir de s’informer, de lire, de raconter des faits divers, de partager les multimédias (vidéos, musique, photos), etc. A ce jour, au Burkina Faso, à notre connaissance, aucune étude sur la relation entre l’utilisation du smartphone et la cervicalgie n’avait encore été réalisée. C’est ce qui, à l’évidence, a justifié l’intérêt de mener ce travail. La question que nous nous sommes posés était de savoir si l’angle d’inclinaison de la tête, le niveau d’addiction aux smartphones et le niveau d’étude expliqueraient la survenue de la cervicalgie chez les étudiants à l’Université Joseph Ki-Zerbo (UJKZ) en 2022. Le but de cette étude était de contribuer à prévenir la pathologie dégénérative du rachis cervical au sein de la jeunesse burkinabè en particulier dans le milieu estudiantin.
Pouvez-vous revenir sur le déroulement de cette enquête ?
L’étude a été menée à l’UJKZ à Ouagadougou dans le cadre de la thèse de docteur en médecine Diplôme d’Etat de Dr Abou Maïga que nous avons encadré. L’étude s’est déroulée sur 2 mois du 2 novembre au 31 décembre 2022. La population d’étude était constituée d’étudiants régulièrement inscrits à l’UJKZ. Il fallait être âgé entre 18 et 30 ans et avoir donné son consentement éclairé. Nous avons obtenu les autorisations des autorités administratives de l’université et du comité d’éthique pour la recherche en santé. Un questionnaire était administré aux étudiants qui avaient donné leur consentement éclairé.
Quels sont les enseignements à tirer ?
Au terme de notre étude, il ressort que sur les 768 étudiants enquêtés, 81% avaient une cervicalgie, c’est-à-dire une douleur au cou lors de l’utilisation du smartphone ce qui veut dire que la cervicalgie est très fréquente. Aussi, l’angle d’inclinaison de la tête en flexion (penchée) était associé à la cervicalgie.
Nous avons également noté selon le score d’évaluation de l’addiction, que la majorité des étudiants inscrits en 2022 à l’UJKZ avaient une addiction à leur smartphone dont une proportion prépondérante ayant une addiction sévère d’après le SAS-SV (Smartphone addiction scale short version). Cette étude nous a permis d’identifier l’UFR d’origine, la connexion Internet mobile en permanence, le nombre d’heure d’utilisation >12h et le niveau d’addiction au smartphone sévère à modéré chez les étudiants à l’UJKZ comme facteurs de risque supplémentaire d’exposition, associés à la survenue de cervicalgie.
Quid des risques liés à l’usage du smartphone ?
Il est admis de nos jours que l’utilisation excessive du smartphone a un impact sur la santé. En effet, l’utilisation du smartphone peut entrainer au-delà des troubles musculosquelettiques que sont les douleurs du cou, des doigts et des épaules, des maux de tête, fatigue, des troubles de la vision, des troubles du sommeil.
Comment lutter contre les cervicalgies chez les utilisateurs de smartphone ?
Afin de minimiser le risque de faire de la cervicalgie lors de l’utilisation du smartphone, il faut :
Garder un bon alignement de la tête avec le tronc ainsi que le reste du corps.
Reduire le temps passé sur son smartphone.
Restreindre l’accès au smartphone et à Internet pour les jeunes en famille.
Etre conscient du risque encouru du fait de l’exposition au smartphone.
Adhérer aux initiatives de sensibilisation
Quelle est la suite à donner maintenant à cette étude ?
Au vu des résultats que nous avons obtenus, nous avons fait un rapport aux autorités de l’université. Nous profitons de votre canal pour sensibiliser toute la population en particulier sa frange jeune sur les méfaits de l’utilisation excessive du smartphone sur leur santé notamment leur santé en général et leur santé ostéoarticulaire.
Aussi, nous pensons qu’il faudrait développer une application mobile de techniques de bonnes postures ou d’apprentissage d’exercices physiques pour atténuer les effets. Nous suggérons aussi l’organisation de conférences publiques dans les universités, écoles ainsi que le développement d’un module d’enseignement sur les risques d’exposition au smartphone au profit des apprenants déjà dès le jeune âge.
Interview réalisée par Boureima SAWADOGO
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