D’habitude, la flûte de la sérénité berce le camp du président sortant, candidat à sa propre succession. Assis sur la certitude de l’emporter, il se mure dans son silence d’avance victorieux et écoute, d’un air condescendant, l’opposant, le candidat de l’opposition s’égosiller, s’échiner et crier sur tous les toits et dans toutes les fosses que c’est lui qui a remporté les élections et qu’on tente de lui voler son vote. Tel n’est pas le cas du célèbre Pular de Fathik, devenu l’artisan de la seconde alternance en 2012, et qui, via son premier ministre s’est empressé de se déclarer vainqueur avec 57%, vite recadré par la commission de recensement des votes qui parle de suffrages erronés.
Eh oui ! Certains même sont allés jusqu’à s’autoproclamer chef d’Etat, instaurant un bateau où un capitaine est au gouvernail et un autre, une pâle copie, un épouvantail, flotte à la proue, vociférant des ordres que lui seul entend. Il y a des exceptions, certes. Il y a des contrées où le fantôme a fini par se matérialiser dans la réalité du pouvoir. Mais comme dit, ce sont des exceptions. Du reste, très rares. Qu’ est-ce qui peut expliquer cette frilosité des ouailles de Benoo Bokk Yakaar, à devancer l’iguane dans l’eau, alors que pour peu que cette coalition présidentielle soit sûre de sa victoire, elle devrait rester coi et sereine ? Macky Sall aurait-il peur d’un second round ?
A contrario, Idrissa Seck et Ousmane Sonko forcent-ils pour ce second tour ? La seule certitude, jamais un président en exercice au Sénégal, qui se présente pour un second mandat n’est allé au second tour. Macky Sall inaugurera-t-il la liste de cette espèce ?
On ne comprend donc pas que le Sénégal ne s’imbrique pas dans la logique de l’opposant qui rue dans les brancards pendant que le président sortant sirote son thé. Qu’Idrissa Seck et Ousmane Sonko clament qu’il y aura un second tour (plaise à Dieu, ils n’ont pas dit qu’ils ont remporté le scrutin) peut se comprendre, même si cela ne les excuse pas. Mais que le Premier ministre Mahammed Boun Abdallah Dionne se fende d’une «proclamation de résultats», et qui plus est, avec des chiffres à l’appui (selon «sa» commission électorale, Macky Sall a remporté le premier tour avec 57% des suffrages), fait désordre et franchement irresponsable. En vérité, le préjugé est tenace, qu’une deuxième et ultime bataille électorale pour départager Macky Sall et Idrissa Seck ou Macky Sall contre Ousmane Sonko se soldera par la défaite du président-sortant. Vrai ou faux ? A l’évidence Sall ne veut pas tenter l’expérience !
On avait accusé Abdoulaye Wade d’être frappé d’une folle sénilité lorsqu’il a appelé à faire l’autodafé de la Commission électorale. Mais l’acte du Premier ministre sénégalais frôle les mêmes cimes d’inconséquence, car il sort de son rôle pour empiéter sérieusement sur celui de l’institution électorale, seule habilitée légitimement et habillée légalement pour donner des vainqueurs et des perdants, un second tour ou une élection au «coup KO» à ce scrutin.
Il faudra que l’ensemble des acteurs, ceux de la majorité plus que tous, laissent la Commission électorale faire sereinement et tranquillement son travail et s’atteler à diffuser les graines de l’apaisement au sein de leurs ouailles.
En attendant, s’ils ont des commentaires, ils peuvent les faire dans le cocon enfermé de l’aparté. Ainsi, ils pourraient par exemple analyser les chances de Macky Sall de se faire réélire qui s’annonceront minces en cas de second tour. Toutefois, s’il venait à passer au premier tour, la probabilité qu’il puisse gouverner ne lui sera pas non plus très favorable car sa majorité ne sera pas des plus confortables. Cela signifiera que de nombreux Sénégalais ne lui font plus confiance et il devra trouver les moyens de composer avec cette masse critique d’insatisfaits.
Que ce soit du tchep avec du poisson ou du poisson au tchep qui sera servi à l’issue de la proclamation des résultats, il est très primordial que le Sénégal sache raison garder et ne retombe plus dans l’âge de la pierre taillée de la démocratie. Le pays de la Terranga nous a du reste habitué à ses joutes chahutées, mais est toujours resté dans le giron de la démocratie.
Ahmed BAMBARA
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