Prise en charge des cancers pédiatriques : Casse-tête burkinabè pour les parents et les soignants

Prise en charge des cancers pédiatriques : Casse-tête burkinabè pour les parents et les soignants

Longtemps méconnus du grand public et même par certains agents de santé, les cancers pédiatriques sont une réalité au Burkina Faso et causent de nombreux décès d’enfants. Selon Gabrielle Chantal Bouda, médecin onco-pédiatre au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo (CHU-YO), la situation est plus que  préoccupante. Entre janvier 2019 à septembre 2020,  49 décès ont été enregistrés dans le seul centre de Yalgado. Quant au nombre de nouveaux patients admis sur la même période, il est de 251. Face aux multiples difficultés rencontrées dans la prise en charge de ces maladies, elle interpelle les autorités afin qu’elles  prennent au sérieux le problème du cancer d’une façon générale, qui prend de l’ampleur dans notre pays.

Un cancer c’est comme si une cellule du corps à un endroit donné du corps se mettait en rébellion totale et n’obéissait plus aux commandes de l’organisme. Elle se multiplie comme elle veut et finit par créer une « sorte d’état » (la tumeur cancéreuse) dans l’état que constitue l’organisme. La tumeur finit par envahir le voisinage et va même coloniser des territoires différents (métastases) de son site initial. Les cancers pédiatriques sont ceux qui surviennent chez les enfants depuis la naissance jusqu’à pratiquement la fin de l’adolescence, c’est-à-dire vers 18 ans pour certains types de cancers. Ils sont moins connus car moins fréquents : 0,5 à 3% des cancers. La principale raison de cette faible fréquence selon Dr Bouda est que la durée d’exposition aux  principaux facteurs  de risque que sont  le vieillissement  et les facteurs  environnementaux est moins longue pour les sujets jeunes.

Sur la base des statistiques hospitalières (CHU-YO et CHUP-CDG) des 10 dernières années (2010-2019), dans notre contexte, les cancers pédiatriques les plus fréquents sont les lymphomes (45%), les leucémies (11%), les rétinoblastomes (15%) et les néphroblastomes (12%). Les autres cancers représentent (17%).

Une cause pas connue dans la  majorité des cas

Mais au fait, pourquoi certains enfants souffrent de cancer? A cette interrogation, Dr Gabrielle Chantal Bouda, pédiatre au CHU-YO explique :

«Pour une grande majorité des cancers chez l’enfant, la cause n’est pas retrouvée. Lorsqu’une cause est identifiée, il faut savoir qu’en fait l’apparition du cancer est le résultat de la conjugaison de plusieurs facteurs plus ou moins associés». A l’en croire, il existe deux grands groupes de facteurs de risque à savoir, les facteurs environnementaux et les facteurs génétiques.

Les facteurs environnementaux :

les radiations ionisantes (rayons X)  à forte dose accroissent le risque de développer des cancers du sang (leucémies) : bombe de Hiroshima, Nagazaki, Chernobil ;

les champs électriques et  électromagnétiques d’une certaine fréquence ;

certains agents chimiques : tabagisme même passif, pesticides, hydrocarbures…

les facteurs infectieux. Le plus en cause est le virus d’Epstein-Barr (EBV) qui se contracte dès le bas-âge (avant 2 ans) et est incriminé d’un grand nombre de cancers chez l’enfant chez nous. L’infection elle-même passe souvent inaperçue mais le virus entraine des altérations au niveau de certaines cellules du corps. Ces modifications dans les conditions d’infections répétées par le parasite du paludisme (comme c’est le cas chez nous) peuvent longtemps après (vers 7 ans) permettre le déclenchement de cancers. C’est le cas de certains cancers (des ganglions et du sang appelés lymphome) et du cancer de la gorge (carcinome).

Les facteurs génétiques : ils sont rares (moins de 5% des cancers chez l’enfant). 

pour certains cancers, le fait d’être un proche parent d’un patient peut augmenter le risque de développer un cancer ;

certaines anomalies génétiques peuvent augmenter le risque de développer certains cancers. C’est le cas de certaines formes de cancer de l’œil chez l’enfant.

Comme dans toute maladie, le diagnostic d’un cancer pédiatrique passe par plusieurs étapes.

«D’abord, ce sont les signes qui amènent le malade à consulter qui peuvent faire douter. Puis, il y a ce que l’on retrouve en examinant le malade. Après cet examen, si l’on suspecte un cancer, des bilans complémentaires sont demandés. Habituellement nombreux car destinés à faire la preuve du cancer, mais aussi à rechercher l’étendue de la maladie (métastases ou pas), les dommages éventuels déjà causés et l’état de fonctionnement d’organes comme le foie et les reins (dans la perspective du traitement). Ce sont des examens de sang, de radiologie (échographies, scanner…) et d’anatomie pathologique après prélèvement sur la tumeur. La nature des examens demandés dépend du type de cancer suspecté», fait savoir Dr Bouda.

Par ailleurs, la détection précoce de certains cancers est possible selon la spécialiste en pédiatrie. C’est le cas du cancer de l’œil par exemple : dès qu’une tâche blanche apparait dans l’œil  d’un jeune enfant voire d’un bébé et que cette tâche brille à la lumière ou lorsque l’enfant qui regardait normalement se met à loucher (à regarder de travers). Pour les autres cancers, c’est moins évident mais lorsqu’un signe anormal apparait (une boule ou une tuméfaction) et n’a pas tendance à disparaitre malgré les traitements ça peut être suspect. Aussi, quand un enfant a besoin d’être transfusé plusieurs fois en l’espace de quelques jours ou quelques mois, c’est également suspect.

Dans la majorité des cas, ce n’est pas facile de faire un diagnostic précoce parce que  beaucoup de signes de cancers sont communs à d’autres maladies.

Selon les estimations,  avec la population actuelle du Burkina Faso, le nombre de cancers attendus chez les moins de 18 ans est en moyenne de 750 cas par an. Les données hospitalières sont en augmentation continuelle, nous sommes autour de 230 cas annuels, pris en charge dans  les deux hôpitaux (CHUP-CDG et CHU-YO). A écouter Dr Chantal Bouda, entre janvier 2019 à septembre 2020  à Yalgado, 49 décès ont été enregistrés. Le nombre de nouveaux patients admis durant la même période est de 250. « Le registre pédiatrique mis en place depuis 2018 permettra d’avoir des statistiques plus complètes. Et pour la prise en charge, elle se fait sur deux sites (CHUP-CDG et CHU-YO) et un troisième est en train de se mettre en place au CHU-SS de Bobo», explique-t-elle.

Prise en charge et difficultés

Très souvent, ce sont des pathologies très angoissantes pour les parents et les difficultés ne manquent pas dans la prise en charge des patients. Elles se situent à plusieurs niveaux et nous pouvons citer entre autres :

– l’absence de locaux dédiés à l’oncologie pédiatrique pour recevoir les patients ; 

–  un personnel insuffisant et peu formé : 4 onco-pédiatres formées par le biais du Groupe franco-africain d’oncologie pédiatrique (GFAOP), les infirmiers sont peu formés ;

– Le coût élevé du diagnostic, qui est  à la charge des parents dont  la plupart sont démunis ;

– l’indisponibilité de certains examens pour confirmer le diagnostic et l’extension de la maladie;

– le retard dans la consultation (70% environ) : les parents viennent à des stades non guérissables dans nos conditions ;

– l’insuffisance de plus en plus manifeste des produits : en pharmacie ce sont des produits qui coûtent extrêmement cher quand ils sont disponibles. Les médicaments que nous utilisons jusque-là (depuis 2005) pour le traitement des enfants sont des dons du GFAOP ;

– la non disponibilité de la radiothérapie dont nécessitent certains cas;

– le manque d’accompagnement psychosocial qui doit entourer ces affections graves.

Mais qu’à cela ne tienne, avoir son enfant souffrir d’un cancer n’est pas une fatalité en soi, car c’est une maladie qu’on peut bien soigner. Mieux, les cancers de l’enfant ont cette caractéristique d’avoir de meilleur pronostic pour une grande partie  comparés à ceux de l’adulte.  Il est possible de traiter efficacement les cancers de l’enfant au Burkina Faso. Et l’oncolo-pédiatre d’affirmer qu’«il suffit d’y mettre les moyens en s’attachant à résoudre les difficultés citées plus haut».

Les chances de guérison dépendent de plusieurs facteurs dont la précocité du diagnostic (plus la maladie est limitée, mieux cela vaut), du type de cancer, de la disponibilité des moyens de prise en charge. Il y a de réelles chances de guérison pour les principaux cancers que nous traitons.

Le cri du cœur de Dr Bouda

«J’interpelle nos autorités afin qu’ils nous écoutent et prennent au sérieux le problème du cancer d’une façon générale. Le nombre de cas ne reculera pas, il faut une prise en charge adaptée pour les patients que nous sommes tous.

Figurez-vous que depuis 2005 (15 ans) nous arrivons à traiter à Ouagadougou les enfants burkinabè souffrant de cancer grâce à des dons. Nous profitons une fois de plus pour renouveler au GFAOP notre reconnaissance, pour cet accompagnement combien salvateur.

Qui dit don, sous-tend également les limites et il n’est besoin de rappeler que ce n’est pas un acquis. Nous ne pouvons éternellement dormir sur la natte d’autrui.

Un Burkinabè moyen ne peut se soigner ou soigner un proche d’un cancer. Pour ne donner que quelques exemples sur les cancers les plus fréquents.  En 2018, le coût moyen de la prise en charge, sans les anticancéreux et sans les autres frais (déplacements, restauration…) était de l’ordre de 900 000 à 1 200 000 pour les 4 principaux cancers retrouvés chez nous. Depuis peu, le tarif des examens a augmenté. Il faut compter entre 1 500 000 et 2 000 000 maintenant pour cette prise en charge.

Pour terminer, je voudrais faire une mention particulière au sujet de la charge psycho-affective qui accompagne ces maladies graves. C’est une souffrance énorme pour les patients, leurs parents et les soignants que nous sommes. Il n’y a rien de pire que d’assister de façon impuissante à la détresse des patients et des familles» .

Boureima SAWADOGO

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