Complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre de 13 personnes, incitation à commettre des actes contraires au règlement, coups et blessures volontaires sur 42 personnes, sont les charges qui pèsent contre le lieutenant Boureima Zagré, appelé à la barre, le lundi 27 août 2018, pour son rôle dans le dossier du putsch manqué du 16 septembre 2015. N’ayant pas reconnu les faits qui lui sont reprochés, le sous-lieutenant au moment des faits est revenu sur les missions qu’il a effectuées, notamment celles en territoire togolais où il a rencontré le capitaine Piasso de l’armée togolaise, qui lui a remis du matériel de maintien de l’ordre.
Sous-lieutenant au moment du coup d’Etat manqué du 16 septembre 2015, le lieutenant Boureima Zagré inculpé dans ce dossier est poursuivi pour complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, meurtre, incitation à commettre des actes contraires au règlement et à la discipline, coups et blessures volontaires. Il a plaidé non coupable. Il explique que faisant partie du bataillon Badenya III, il a été déployé au Mali dans le cadre d’une mission onusienne. Il confie être revenu en début septembre, à la suite d’une permission de 21 jours où il dit s’être rendu à Bobo-Dioulasso. De retour, il s’est rendu au camp Naaba Koom II pour resituer le véhicule qui lui a été affecté pour son voyage. Du camp Naaba Koom, il rejoint le Conseil de l’entente avant d’y revenir afin d’offrir un pot à ses camarades officiers, car c’est une tradition, a-t-il soutenu. Selon lui, son arrivée au camp a coïncidé avec un rassemblement des officiers au carré d’arme, voulu par le général Gilbert Diendéré. A l’en croire, c’est à ce rassemblement que le général les a signifié que le Conseil des ministres a été interrompu. En outre, il affirme qu’à la suite de cette annonce, il a été au Ministère de la défense, lors de la rencontre avec les chefs militaires. Aux dires de l’accusé, le général Diendéré a rencontré une délégation de négociateurs composée de l’archevêque de Bobo, Paul Ouédraogo, de l’ancien président Jean Baptiste Ouédraogo, le chef d’état-major général des armées d’alors, Pingrénoma Zagré. Il confirme qu’au cours des échanges, l’archevêque a fait cette déclaration : «le vide inquiète tout le monde, si c’est un coup d’Etat, que les responsables s’assument. Le pays n’a pas besoin de ça». C’est donc à la suite de cette rencontre, que le général a annoncé qu’un communiqué sera lu.
A l’entendre, dès les premières heures, son nom a figuré parmi ceux qui devaient lire les communiqués, car «les supérieurs ont estimé qu’il fallait qu’un jeune non connu du public le fasse», a-t-il soutenu. Ce n’est que par la suite, que le lieutenant-colonel Mamadou Bamba est venu lui dire le contraire.
L’armée togolaise prête main-forte aux putschistes
L’interrogatoire du lieutenant Boureima Zagré a permis de comprendre que l’armée togolaise a joué un rôle dans le putsch manqué. A en croire le prévenu, il a effectué une mission en territoire togolais pour récupérer du matériel de maintien de l’ordre pour le compte de la gendarmerie et de la police. En territoire togolais, il a confié avoir rencontré le capitaine Piasso qui était son contact sur place. En revenant à Ouagadougou, l’officier subalterne reconnaît avoir dispersé des manifestants armés de machettes à Koupèla qui voulaient s’en prendre à eux. Il a confirmé que ses éléments ont procédé à des tirs de sommation. Quelques kilomètres après Koupèla, ses éléments ont encore fait usage de cordelettes face à des manifestants hostiles. De retour de ladite mission, Boureima Zagré va reconnaître avoir reçu pour mission également le 20 septembre, de se rendre à la Place de la nation afin d’empêcher tout rassemblement par la dissuasion. Le lendemain, il ira à la poudrière de Yimdi cette fois-ci pour rapatrier un élément du RSP blessé dans une attaque et le corps d’un autre qui a perdu la vie.
Si le lieutenant Boureima Zagré a raconté dans le moindre détail ce qu’il a fait durant les évènements, il estime au passage avoir exécuté des ordres militaires qui lui ont été donnés par son chef de corps, le commandant Aziz Korogho. Cet avis n’est pas partagé par le parquet militaire qui a souligné qu’un militaire en mission onusienne ne relève plus directement de son corps d’origine, «donc en permission, il n’a pas l’obligation de se rendre au camp et de surcroit, recevoir des ordres de son supérieur pour effectuer des missions», a-t-il soutenu. L’accusé va lui rappeler qu’il s’est retrouvé au camp de façon fortuite et que rien ne l’empêchait de recevoir d’autres missions étant déjà en mission. Son avocat Me Dieudonné Ouilli abondera dans le même sens en déclarant : «il n’a fait que respecter ce qu’on lui a enseigné». Pour preuve, il s’appuie sur l’article 39 du code de justice militaire, en confiant que quand bien même le militaire en mission est détaché de son armée, il se met à sa disposition si on lui fait appel. L’accusé va soutenir, que contrairement à ce qu’affirme le parquetier, il n’a pas prêté main forte au putsch en effectuant ces missions. Pour lui, il a exécuté des ordres de son chef de corps, mais pas venant des auteurs de ce coup d’Etat. Sur une interrogation de Me Hervé Kam concernant le rôle de l’armée, l’accusé laissera entendre que celle-ci a pour fonction de défendre l’intégrité du territoire, le maintien de l’ordre et de participer au développement du pays. «Je suis rentré dans l’armée pour servir mon pays et non les intérêts d’une personne», ajoute –t-il. Ainsi, l’avocat observera que les actes posés par le jeune officier de l’ex-RSP ne rentrent pas dans cet ordre et par conséquent, ils sont illégaux. Mais ce dernier répliquera en indiquant que : «les ordres militaires ne se discutent pas, ils s’exécutent sans murmure». Il fait remarquer que lorsque le général Diendéré est revenu de sa réunion du Ministère de la défense, il les a rassurés du soutien des autres chefs militaires. Prenant la parole, Me Séraphin Somé de la partie civile note que c’est avec beaucoup de déception qu’il écoute depuis ce matin le fantassin. «C’est un officier très brillant et notre pays devait être fier d’en compter dans ses rangs. Mais, j’en déduis de ce qu’il a dit, que le Burkina Faso n’a pas fini avec ses histoires de coups d’Etat, car il a affirmé qu’il exécutera n’importe quel ordre de sa hiérarchie, même si c’est pour arrêter le président du Faso. Nous avons en face de nous un monstre froid qui réagit froidement et n’a pas encore tourné cette page», a déploré l’auxiliaire de justice. Il sera invité par le président du tribunal Seidou Ouédraogo à retirer son qualificatif de monstre froid en l’encontre de l’accusé. Chose que l’avocat fera tout en présentant ses excuses à ce dernier. Sur ce, l’audience a été suspendue à 17 heures et reprend ce matin toujours avec le lieutenant Boureima Zagré à la barre.
Edoé MENSAH-DOMKPIN et Boureima SAWADOGO
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