«Ce n’est pas Yoro ! C’est Yoro !» Propos entendus des images relayées par les réseaux sociaux de ceux qui ont commis l’abjection indicible : déterrer le corps de DJ Arafat, certains le déboutonnaient, une main qui enlevait sa cravate…
«Enterré sans sa tête». «Pourquoi deux cercueils ? «. «Pourquoi un enterrement en comité privé ? «. «Ce n’est pas le corps de Daishinkan». «Le Yoro n’est pas mort«. Voici à peu près les soubassements de la profonde incrédulité qui ont conduit les «Chinois», entendez par-là les fans indécrottables de feu Commandant Zabra, à commettre le plus grand sacrilège que le défunt n’aurait jamais souhaité : l’exhumation. In fine, les «Chinois» ont fait mentir le talentueux animateur de cette veillée funèbre, Didier Bléou, lui qui ne tarissait pas d’éloges, sur leur sagesse. Car de 1 heure du matin jusqu’aux environs de 10 heures, heure de l’inhumation, tout s’est bien déroulé. Puis soudain, après 10 heures, le sacrilège !
Acte désacralisant, décourageant, affligeant pour sa famille et pour ses fans qui désapprouvent ce comportement hors norme. Décourageant pour la mémoire de Influemento. On a vu des obsèques de stars mondiales tels Michael Jackson, Withney Houston, Johnny Hallyday, mais sans ce genre de débordement !
Et pourtant, la dépouille du «deux fois Koraman» a été exposée au centre de l’illustre stade Félix Houphouët-Boigny. Le cercueil a bien été ouvert et les yeux des «Chinois» ont vu le corps de leur idole. Que restait-il encore à vérifier ?
En effet, même sur écrans géants, et malgré par le truchement d’une grue, le corps du Daishikan a été soulevé pour que ses fans le voient, subsistait ce doute irrépressible, que soit ce n’était pas la dépouille qu’on a enseveli au cimetière de Williamsville, soit c’est le sien, mais étêté, c’est-à-dire amputé de la tête ou d’autres organes pour de sinistres pratiques occultes. On est en Afrique et ces croyances sont tenaces dans le syncrétisme ambiant.
Malgré la satisfaction de cette curiosité hautement macabre, il s’en est trouvé des incrédules fervents adeptes de Saint Thomas pour remettre en cause l’identité du cadavre qu’ils ont profané. De la couleur de la sépulture jusqu’à ses tatouages, des «Chinois» ont affirmé, stoïques, sans se rendre compte de l’énormité de l’acte qu’ils sont en train de poser, que ce n’était pas le «Yoro», qu’il ne fallait pas les prendre pour des «idiots», éventant sur le fourneau de la paranoïa poussée à l’extrême, la braise éculée du complot. Mais qui gagnerait quoi à soustraire le corps du «Daishinkan» ? Sa famille ? Ses proches ? Les autorités politiques ? Ou les mystérieux acteurs du fantasmagorique pacte que le «Président de la Chine» aurait signé avec le maître des ténèbres et des enfers ? Absurde si l’on prend le chemin de la logique raisonnable. Quoi qu’il en soit, il demeure malheureusement inscrit sur le marbre de l’Histoire, que les «Chinois» ont profané la mémoire de leur «Roi». C’est triste. Mais c’est ainsi.
Peut-être aurait-il fallu que le corps du Yoro soit moins gardé dans le carcan de cette célébration VIP. Arafat DJ a été un enfant de la rue, un artiste populaire. Il aurait fallu donc permettre à sa «Chine» de le voir une dernière fois au stade, que quelques Chinois puissent s’incliner sur sa dépouille. Cette procédure aurait certainement posé un problème de sécurité et de logistique. Mais si c’était le prix à payer pour éviter ce «bad end», il aurait été envisageable de le payer.
Et le dividende politique qui se cachait derrière cette organisation grandiose des funérailles dans lesquelles le président Alassane Ouattara a mis ses savates, risque de s’en retrouver éclaboussé. On peut peut-être l’accuser à tort, mais cet investissement gigantesque des moyens de l’Etat dans les obsèques d’un artiste qui ne recevait pas forcément d’échos favorables du côté politique de son vivant, peut être difficilement fortuit.
La tentation, à quelques encablures des élections pour lesquelles le dauphin présidentiel n’est pas forcément en pôle posture, de tourner à son avantage cette formidable «Chine», véritable manne électorale, est grande. Du reste, c’est de bonne guerre. C’est le contraire qui aurait étonné. Et il aura fait œuvre utile puisqu’un artiste ivoirien a reçu un hommage digne de ce nom.
Toutefois, c’est une épée à double tranchant et toute communication a son revers car pour ce décès de star, on a rouvert le cimetière de Williamsville, interdit d’enterrement, car plein, on a bitumé de goudron jusqu’à l’entrée et une orgie de moyens financiers et matériels ont été mis en branle. Lorsqu’un président de la République se permet une libéralité de 150 millions pour les funérailles d’un artiste, le décore du chevalier de l’Ordre ivoirien, c’est quasiment le Tout-Etat qu’il engage. Et au Stade, on a bien entendu qu’Ahmed Bakayoko, ministre de la défense a assumé.
5 millions de ‘’j’aime’’ sur Facebook, c’est tentant politiquement ! Les «Chinois», véritable matérialisation de cette partie de la Côte d’Ivoire laissée pour compte, ayant difficilement accès à l’opulence affichée de l’Eburnie, et qui a trouvé un véritable miroir en ce Disc Jockey issu de de ses rangs, est imprévisible. Elle est ondoyante et ne se laissait guider et contrôler que par son maître suprême et ses «bruits musicaux». Par conséquent, autant le nombre des «Chinois» est une aubaine politique, autant leurs dérapages reviennent à la figure de ceux qui pensaient pouvoir en tirer bénéfice. Et comparaison métaphysique pour comparaison métaphysique, l’exhumation d’un cadavre étant vue comme une malédiction sous, les cieux africains, le sacrilège du 31 août 2019 devrait être aussi négativement interprété sur le tableau des signes du côté du palais présidentiel de Cocody. Envolé donc usufruit escompté par le pouvoir ? En partie oui !
Et pourtant, tout était parti pour bien se dérouler dans ce dernier virage de l’hommage à l’homme. La cérémonie du 30 août restera mémorable. Et Ange Didier Houon est entré au Panthéon des héros et la Côte d’Ivoire même si par cette excavation c’est un anti-héros que ses fans ont célébré. Et ce comportement de ces «Chinois» est caractéristique d’une jeunesse déboussolée, sans repère et pas artistiquement seulement, mais socialement, qui s’agrippent à tout, qui franchissement toutes les lignes rouges, qui s’attendent à tout, mais qui ne sont préparés à rien. DJ Arafat a relevé à titre posthume un défi qu’il s’était fixé : remplir le plus grand stade des bords de la Lagune Ebrié.
Mais ce n’est pas tout. Il aura réussi à déplacer des grosses pointures de la musique africaine : le légendaire Roga Roga, le planétaire Fally Ipupa, le remuant Davido, la fierté footballistique du continent africain Didier Drogba, l’étoile filante Sidiki Diabaté qui a posé un acte mémorable en remettant à DJ Arafat, son disque de platine et les artistes ivoiriens, toutes tendances confondues, qui ont eu un mot musical dans l’immense cuvette du stade recouverte du nom et de l’image du «Burus Sama«. La décoration à titre posthume de l’ordre national figure aussi parmi les victoires post-mortem du Roi du coupé-décalé.
Il reste maintenant à espérer que la postérité de l’artiste fasse oublier cette désagréable fermeture de rideaux. Par exemple, que les 250 morceaux encore inédits du Daishinkan et dont a parlés le «Yoragang», soient dévoilés conséquemment aux fins de ravir ce disque d’or dont rêvait tant Arafat DJ.
Ou encore que ses enfants connaissent une trajectoire respectable et pourquoi pas, comme le laissent déjà susurrer certaines voix, que l’éveillé Ézéchiel, qui a déjà l’impétuosité de son père, assume l’immense héritage musical fait de «12 500 volts» de sonorités qui gorgent ces fameux «100 ans d’inspiration» !
Ahmed BAMBARA
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