Rencontre Ouattara-Bédié à l’hôtel du Golf : De l’indispensable et douloureux arbre à palabre

Rencontre Ouattara-Bédié à l’hôtel du Golf : De l’indispensable et douloureux arbre à palabre

Ouattara et Bédié côte-à-côte, un kaléidoscope rarissime, une image d’Epinal, vue il y a très longtemps, laquelle photo rappelle bien des réminiscence de 2010 puisque c’est à l’hôtel du Golf qu’a eu lieu ce cénacle tant souhaité et par la Communauté internationale que par les Ivoiriens. Là où il y a 10 ans, les 2 personnalités étaient dans une situation obsidionale d’encerclement par les «loyalistes» de Laurent Gbagbo. Ironie du sort donc une décennie plus tard, les deux alliés se retrouvent pour un accord à minima, au sujet…d’une élection.

45 minutes chrono qu’a duré l’aparté, qui doit renouer les fils de la confiance. De nouvelles rencontres ou appels téléphoniques devront suivre cette prise de contact d’hier. C’est bon à prendre !

Le lieu en lui-même devrait inciter Ouattara et Bédié à ne pas tirer à hue et à dia, car tout est tellement évanescent. Dix ans séparent leur séjour forcé en ces lieux, depuis beaucoup d’eau ont coulé sous les ponts Houphouët et Bédié.

La guerre finit irrémédiablement par le dialogue. Ce dialogue n’a peut-être pas la même connotation pour chacune des parties au conflit. Mais il y a dialogue tout de même ! De sorte qu’il est mieux de faire l’économie de la guerre et passer directement à la table du dialogue.

C’est apparemment ce qui est en train de vouloir se passer en Côte d’Ivoire. Sauf qu’il y a déjà des morts dont le sang a rougi la terre sacrée de l’Eburnie. 85 depuis août et 31 depuis l’élection de fin octobre. Et c’est sur ce sang et ces dégâts tant matériels que sur le tissu social et de la cohésion de ce pays que le tapis de la discussion est en train d’être étalée. Il le faut sans doute, pour éviter que pire n’arrive.

Pédalant sur le tableau du héron qui ne peut pas avaler la grenouille qui a la tête dans son gosier mais dont les pattes étranglent le cou, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié ont allumé le calumet de la paix sous le toit du mythique et symbolique hôtel du Golf. Mais l’ont-il fumé ? Les expressions et les bouts de phrase lâchés à la fin de la rencontre montrent que non. Une prise de contact entre un président qui se sent mal élu et qui ne peut pas gouverner avec une opposition vent debout contre lui, mais dont les ténors sont traqués par la force publique.

Alassane Ouattara sait que son troisième mandat est contre-nature, qu’il détonne dans l’atmosphère générale de l’Afrique de l’Ouest, que les Ivoiriens, en tout cas une bonne partie, n’applaudissent pas sa réélection mais si le score stalinien qu’il a obtenu de la bouche de la Commission électorale semble tonner le contraire. En effet Ouattara n’ignore pas qu’un Ivoirien sur deux ne l’a pas voté, et là encore on est optimiste, vu les conditions du scrutin et la polémique sur les votants, Ouattara n’a d’autres choix que de négocier.

De toute façon, essayer d’ignorer les Bédié et Cie, ne l’arrange pas, tant il sait que les 10 années qui ont «cassé» la Côte d’Ivoire sont toujours prégnantes de par l’absence de la paix du cœur et d’une vraie réconciliation. Politiquement et ethniquement divisé, le pays ne peut être dirigé que si certains barrons politiques sont dans le coup. Une loi d’airain qui a bénéficié aux 3 «baobabs» qui ont gouverné alternativement le pays : Bédié, Gbagbo et Ouattara. En regardant bien aussi la ronde ethnique a été respectée : le groupe des Akan (Bédié) a dirigé, puis celui des Gou (Gbagbo) et enfin les Dioula (Ouattara) qui ont donc rempilé pour ce 3e bail.

Pour ne rien arranger, ces morts qui ont trépassé sous la répression ou lors des affrontements communautaires ont pour dénominateur commun la volonté de Ouattara de rester au pouvoir, malgré le terme légitimement convenu et accepté avant. Avec des opposants décidés à ne pas lui rendre la tâche facile, avec le risque que la répression qu’il a armée contre eux ne conduise à des débordements incontrôlables (la rumeur sur la mort de Affi N’Guessan a failli mettre le feu aux poudres), avec une réprobation populaire avérée,  il faut donc essayer de diluer le vin avant de tenter de le boire à la coupe de l’apaisement.

Du côté des opposants, la stratégie utilisée pour contrecarrer les plans du président sortant n’ont pas totalement porté fruit. Certes, elle a réussi à jeter le discrédit sur l’élection, sur la légitimité d’Alassane Ouattara, sur la cohésion sociale et sur sa popularité. Ensuite, Bédié sait aussi qu’à 87 ans, cette guérilla urbaine, mènera forcement à un cul de sac. Lui et ses camarades n’auront d’existence politique que s’ils sont libres et dont qu’ils reconnaissent Ouattara comme le président élu et pourront voir venir. Libérations des prisonniers politiques, levée des blocus, inclusion de tout le monde au processus… ont été des préalables de Bédié à ce 1er contact. Certes Alassane Ouattara est quelque peu acculé et il est évident qu’il ne peut pas gouverner dans ces conditions. Il a besoin d’une dose de sérénité pour terminer ses chantiers et pour donner un sens à son «sacrifice», comme il le dit. Toutefois, la stratégie a connu quelques ratés par endroits. Alassane Ouattara est bel et bien élu, mal élu peut-être, mais il est actuellement le président de la Côte d’Ivoire. La communauté dite internationale l’a adoubé. Les chancelleries ont déjà envoyé leurs ambassadeurs lui présenter leurs lettres de créances. Le conseil national de transition ne peut pas dans ces conditions se targuer d’une quelconque légalité pour gouverner le pays, surtout si l’armée a clairement pris position pour le président sortant réélu. Les Ivoiriens sont comme refroidis par les crises passées et ne semblent plus vouloir «donner le dos» pour un homme politique. Enfin, les leaders de l’opposition sont traqués et Alassane Ouattara est bien décidé à les mettre tous au «trou» s’ils regimbent toujours.

Un pas vers une déconstipation de la situation qui pourrait se dérider davantage, si chaque camp accepte de mettre tout sur la table, y compris, la possibilité d’un gouvernement d’union nationale, vu que le RHDP n’a de parti unifié que de nom. Et puis beaucoup d’Ivoiriens n’ont plus envie de se faire tuer pour des politiques qui se retrouvent après pour sabrer la champagne.

Le dialogue devient alors un mal nécessaire. Pour tout le monde. Il reste à savoir quelle forme il va prendre et qu’est-ce qu’on va y mettre comme contenu. L’opposition est arrivée avec une longue liste de préalable de revendications qui demandent, entre autres, la libération des opposants arrêtés. Pour «rétablir la confiance» comme il le dit, Alassane Ouattara va-t-il y répondre favorablement ? Comment  et de quel œil Guillaume Soro regarde cette évolution des choses ? Quelles seront ses revendications ?

Comment toute cette crise peut-elle se dénouer ? Un gouvernement d’union nationale ? Avec tout le monde ?  Dans ce cas, que fera-t-on des Ivoiriens déjà morts ? On va les passer par pertes et profit ?

Qui et qui pour former ce gouvernement d’entente ?

Comment le pouvoir va-t-il réintégrer les proscrits dans le jeu politique tout en gardant la haute main sur tout ?

Ce dernier va-t-il écourter son mandat pour se faire remplacer par son «ombre» Hamed Bakayoko ?

 Fera-t-il appel à Blé Goudé ? Comme on lui en prête l’intention pour construire une nouvelle galaxie Ouattariste avec l’accord du FPI ? Assurément Ouattara-Bédié et autres ont rendez-vous avec l’Histoire dont ils ne doivent pas rater la locomotive.

Quel rôle jouera Soro dans ce théâtre ivoirien ?

L’hôtel du Golf a soulevé des questions il y a  dix ans. Il en soulève encore d’autres aujourd’hui.

Ahmed BAMBARA

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