La grande muette serre le vis au Soudan, le patron c’est toujours elle.
C’est une technique aussi vieille que le monde. On donne largement de la main droite pour ensuite récupérer de la main gauche. Le roi est bon avec ses sujets. Il leur donne à manger et à boire à gogo. Puis, le collecteur d’impôts passe récupérer le double, voire le triple de ce que les pauvres habitants ont ingurgité.
La technique est apparemment utilisée par le Conseil militaire de la transition. C’est l’armée qui est au pouvoir depuis plusieurs années au Soudan. Elle règne et Omar El Béchir est son porte-étendard. Une augmentation sur le prix du pain semblait anodine. Mais elle a constitué de levain, fort brutal, du courroux qui grondait dans le cœur des Soudanais. Elle a enflé. Puis, elle a pété. A la figure de l’armée. Mais son bouclier a tout pris : Omar El Béchir.
Voyant que son fusible est grillé et ne servait plus à grand-chose, l’armée décide donc de le larguer. Il tombe. Un peu comme la branche morte et inutile d’un arbre. L’arbre demeure et ne tient pas du tout à quitter la forêt qui lui assure humidité et soleil à doses normales pour sa survie.
Par conséquent, la junte militaire donne ce que la rue demande. A petites doses. Elle réclame un gouvernement civil ? Eh ben, elle l’aura. Elle veut que les proches «visibles» de Béchir soient trucidés ? Eh ben, elle l’aura. Que veut-elle d’autre ? Une transition qui dure plus que deux ans ? Eh ben, elle l’aura. Une assemblée nationale ? Un Conseil souverain ? Il n’y a aucun problème ! La rue l’aura ! Même si elle veut que l’armée finisse par quitter la gestion du pouvoir ? Ce n’est absolument pas un problème ! Certes, ce ne sera pas au grand bonheur de certains membres de l’armée, dont peut-être un certain général «Hemidti». Toutefois, le linge sale se lave généralement en famille. Surtout lorsqu’il s’agit de la Grande muette. Un conseil souverain composé de civils et de militaires, un parlement et un comité exécutif, voilà l’ossature de l’Accord-cadre trouvé lundi dernier et dont l’épilogue devrait être une élection démocratique dans 3 ans. Un accord à minima, qui a battu de l’aile la même nuit de lundi à mardi, avec les tirs à balles réelles sur les manifestants, qui ne désemplissent plus le quartier général de l’armée, avec au final 6 tués. Mais si les canons ont causé du tort à ce dialogue soudano-soudanais, c’est surtout le partage des prérogatives par tête de pipe qui divise.
En effet, sur l’organe délibératif, le conseil souverain, l’opposition, c’est-à-dire, l’Association des professionnels soudanais (APS) et le mouvement «Changement et Liberté» exigent une femme, 6 représentants des provinces et 3 militaires. Sur les 300 membres du parlement, la même opposition veut les 2/3 le reste sera donné aux forces politiques qui ne sont pas de l’opposition.
Les 3 organes de la transition ont pour rôle impératif de pacifier les sérails rebelles du Darfour, du Kordofan du Sud et des Monts Nuba, d’ici 6 mois et de tenir ls élections dans 3 ans.
Ce partage des prérogatives n’a pas été du goût des militaires, et avec la mort des 6 manifestants la surenchère est à présent au rendez-vous, puisqu’aux cheik-points des manifestants, s’est opposée la suspension des militaires qui ont quitté la table de la palabre.
Pas de levée de barrages, pas de négociations voilà l’exigeance de la soldatesque. Et l’atmosphère est à trancher à la machette à Khartoum, avec une aversion pour le général Hemedti, dont les éléments sont accusés d’avoir tué les 6 malheureux. Hier mercredi des tirs à balles réelles ont encore eu lieu.
Cependant, il n’est pas question que l’armée reste loin de tous ces «dons» ! Elle sera présente à chaque pas de la transition. Ses pions, ses éléments, ses yeux, ses bras seront placés, intégrés dans chaque pièce constitutive des organes dirigeants de la transition, histoire de veiller sur les intérêts de cette armée qui est au pouvoir depuis tant de temps au Soudan. Et qui sait, d’ici là, un «éminent» membre de cette armée, qui veut se faire admirer sous les traits du héros sauveur du peuple soudanais, peut se débarrasser de son treillis et se lancer dans la course à la présidentielle du nouvel air de la nouvelle ère «démocratique» qui ouvrira ses ailes sur le ciel soudanais. Après tout, un militaire, n’est-ce pas un civil en treillis ? Abdourhamane Burhan et ses compagnons serrent donc la vis, et montre que le maître du jeu c’est l’armée.
C’est vrai qu’on peut y voir dans la posture des manifestants, des positions maximalistes, mais il faut se rendre à l’évidence : l’éjection d’Omar El Béchir, est une pichenette pour les soldats de donner un mouton sacrificiel, mais elle n’est pas prête à lâcher la proie pour l’ombre. On peut juger El Béchir, le condamner, mais ceux de ses frères d’armes, avec qui 20 voire 30 ans de compagnonnage lient ne veulent point quitter le pouvoir et ses avantages, tout juste concèdent-ils à les partager avec quelques civils. Voilà les raisons de ces négociations en dents de scie .
Ahmed BAMBARA
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